LA
FOLIE DE NASYGWA
Une
petite bulle d'air s'échappa d'un morceau de boue. Elle remonta à
toute vitesse avant de crever à la surface. Les marais respiraient.
Zakoa
inspira profondément. Ses naseaux dilatés à la recherche de
l'odeur de la proie. Elle s'agenouilla et posa sa main sur le sol.
Elle huma la terre mouillée. Les senteurs rances de moisi, d'eau
croupie, de souffre, et, diffuse, celle de la transpiration du
béhémoth.
Elle
se releva. Sa tunique blanche ondulait dans le vent du petit matin.
Elle essuya sa main sur la hampe de sa lance et se remit en route.
Zakoa
était une Kiumbe. Cette espèce peuplait les plaines et les abords
des grands fleuves. Les marais, en revanche, étaient le domaine des
Bêtes et des secrets. Les Kiumbes étaient grands, généralement
très minces. Leurs pattes élancées et musculeuses s'articulaient
vers l'arrière à la manière de
celles des chevaux. Ils se tenaient droits, debout. Leurs long
bras parsemés de fines écailles étaient souples et légers. Leurs
oreilles n'étaient pas visibles et une corne ornait leur crâne.
Cette excroissance variait selon les espèces. Certaines arboraient
des callosités épaisses et résistantes. D'autres, d'imposantes
collerettes colorées ou encore des voiles s'étirant jusque dans le
bas du dos.
La
guerrière était une Emela. Sa corne était donc un long tube creux
directement relié à ses naseaux. En expirant la bouche fermée,
elle pouvait produire un son audible à des kilomètres à la ronde,
vestige de leurs ancêtres herbivores. La lance de Zakoa ne lui
servait d'ailleurs pas à chasser, puisque comme ses aïeux, elle ne
mangeait pas de viande. Cette lance était l'instrument de sa
vengeance. Un long morceau de bois terminé par la canine d'un
Jilmonek.
Un
cycle s'était presque écoulé depuis qu'elle avait quitté
sa harde. A l'époque, elle devait se marier avec Soran. Mais il
était partit accomplir une chasse qui le verrait accéder au trône.
Ce rituel exigeait qu'il trouve une bête, son totem, la tue, puis
qu'il ramène la dépouille comme preuve. Il devenait Roi, elle
devenait Reine, et ils vivaient heureux jusqu'à la fin de leurs
jours. C'était elle la fille du chef, elle qui l'avait choisi, car
c'était le plus brave, le plus beau et le plus doux de tous les
mâles de la tribu. Ils se respectaient et s'aimaient profondément.
Soran
était partit quelques temps avant le jour de leur union.
Généralement, les guerriers revenaient après trois jours. Soran
n'était jamais rentré, et peu à peu, la tribu avait perdu tout
espoir. Enfin, le jour de la cérémonie arriva, Zakoa avait insisté
pour que tout soit prêt, au cas où Soran rentrerait. Elle avait mis
sa tunique blanche, attendu, espéré, mais il n'était pas revenu.
Folle
de chagrin, elle avait pris une des lances de son fiancé et quitté
le village. Certains s'y étaient opposés. En tant que fille du
chef, elle devait choisir le nouveau Roi puis mener les Emelas dans
ces temps difficiles. Le sort de Soran était clair, il était
mort :soit par accident, soit parce qu'il avait échoué. Pour
tout le monde, il était perdu. Mais pas pour Zakoa : elle le
retrouverai, lui ou sa dépouille. Elle traquerai le responsable, et
elle l'abattrai.
Pendant
un mois, elle avait parcourut les grandes plaines, avait
fouilla les terrains de chasses rituels et avait suivit les clans
des grands Jilmoneks. Elle en avait trouva un, mort, aux abords des
marais. La blessure fatale avait été causé par une lance semblable
à celle de Zakoa, sûrement Soran.
Les
Jilmoneks sont des prédateurs proprement gigantesque. Un corps
serpentin couverts d'épaisses calcifications osseuses, quatre pattes
armées de griffes et une queue hérissée de pointes. Ils possèdent
un cou long et musculeux et se tiennent la tête haute, redressée,
afin de pouvoir parcourir les plaines du regard, à la recherche de
proie. Une fois celle-ci repérée, ils l'approchent avec précaution,
glissant à travers les hautes herbes. Puis bien sûre, ils la tuent
et la mangent.
Les
œufs de ces créatures majestueuses étaient protégés par les
Kiumbes. Ils s'occupaient des petits et s'en servaient ensuite comme
bête de somme, mais jamais comme monture. Ils n'en avaient pas
besoin. Les Kiumbes étaient des coureurs nés, des marathoniens
exceptionnels, agiles, vifs et très rapides.
A
force de suivre la piste, de traquer la moindre odeur, la moindre
empreinte, elle avait finit par arriver dans les marais. C'est là
qu'elle l'avait retrouvé. Il était étendu dans la vase, le corps
couverts de plaies. Elle s'était élancée vers lui et l'avait pris
dans ses bras. L'odeur était épouvantable. Brûlant, elle sentait à
peine son souffle contre sa poitrine. Mais il respirait. Elle déposa
sa sacoche, l'ouvrit et en retira quelques herbes. Elle prépara un
feu, fit bouillir de l'eau, y ajouta les plantes et lui donna
l'infusion à boire. Il avait peine à avaler. Il avait essayé de
lui parler, mais il n'avait put que pousser un mugissement angoissé.
Depuis
combien de temps était il là, seul et blessé. Elle ne le savait
pas. C'était un miracle qu'il soit encore en vie, mais il n'en avait
sans doute plus pour longtemps.
Elle
l'avait prit dans ses bras et avait passé la nuit à lui chanter les
mélodies de leur enfance. Enfin, il s'était endormit. Mais Zakoa
n'avait put fermer l’œil. De
le voir si faible, si fragile, c'était terrifiant, et
insupportable. Pire que tout, c'était qu'elle ne savait pas
pourquoi, ni comment il en était arrivé là.
Alors
qu'elle réfléchissait, imaginant quelle créature avait put causer
de si terribles dégâts, il s'était mit à parler.
Il
avait rêvé, ses mots étaient confus et presque inaudible. Elle
avait écouté cependant. Ce qu'elle avait entendu alors lui avait
glacé les sangs. Il avait marmonné à toute vitesse de manière
incompréhensible, mais à un moment, elle était parvenu à saisir
quelques mots :
« Attention,
là, la... la, Nasygwa ne, non, je... Aaaaaah ! »
Nasygwa...
la Bête, ce simple mot l'avait fait frissonner. Cet animal fabuleux
était la gardienne des marais. Et les marais étaient le domaine
privé des mages noirs, les prêtres des Kiumbes. Ces sinistres
individus utilisaient le sang de cette créature mythique pour leurs
rites et c'est de lui qu'ils tiraient leurs pouvoirs. Normalement, la
Bête n'était pas agressive. Bien entendu, il ne fallait pas
l'énerver, mais tous les Kiumbes savaient cela.
Qu'est-ce
qui avait pu la pousser à attaquer Soran ?
Zakoa
ne se posait pas cette question. Pour elle, cela signifiait
simplement que ce monstre était responsable de l'état de Soran. Ce
dernier s'était rendormi. Il s'était mit à pleuvoir. Le feu
s'était éteint, et Zakoa avait maudit la Vieille Nuit pour tous ces
tourments.
Au
matin, Soran était mort. Le froid et la pluie l'avait emporté.
Et
aujourd'hui, elle était là, seule, dans ces marais maudits, à
traquer Nasygwa.
Zakoa
expira, la Bête était là, tout près. Elle l'entendait se gratter
contre un tronc d'arbre pourri. Les insectes bourdonnaient plus
vivement, quelques raxs s'enfuyaient en plongeant sous l'eau croupie.
Elle s'approcha.
Les
marais retinrent leur souffle et elle la vit, enfin :
Une
masse de chairs gonflées, une carapace de chitine noir et quatre
lourdes pattes ancrées dans le sol. Et puis la tête, agrémentée
de deux défenses à trois courbures, de petits yeux jaunes cachés
sous des replis de graisse et une gueule gigantesque garnie de crocs
aux proportions indécentes. Sa peau rugueuse était parsemé de
marques, petits cratères vestiges d'anciennes blessures ou bosses
calleuses près de la colonne vertébrale, dont les os semblaient sur
le point de s'évader de cette prison de muscles saillants.
La
Bête ouvrit la bouche. Zakoa sursauta surprise, et se tapie dans la
vase. Le cri était profond, le sol trembla, Zakoa serra les dents.
Puis les mâchoires se refermèrent et se mirent à mâchouiller
tranquillement. Ce n'était qu'un bâillement.
Zakoa
inspira, elle réfléchit. Son ennemi était relativement calme et ne
l'avait visiblement pas vu venir. Un détail la troubla cependant,
deux grands tentacules, collés à la base du cou. Deux minces filins
terminés par une lame en forme de losange brillant d'une lumière
dorée. La paire d'appendice virevoltait lentement dans les airs,
aux aguets. Comme si une volonté indépendante de celle de l'animal
les déplaçait. C'était un spectacle fascinant et inquiétant à la
fois.
Pour
Zakoa, c'était inattendu. Ce pouvait être une explication. Soran
n'aurait jamais provoqué la colère de la Bête, et celle-ci n'avait
jamais tué de Kiumbes auparavant, encore moins des membres de la
tribu des Emelas, dont elle était censé, d'ailleurs, être la
gardienne. Quelque chose n'allait pas.
Le
tentacule de droite se mit à s'agiter. Il pointa dans la direction
de Zakoa, repartit, puis revint avec plus d'insistance. Zakoa
commença à reculer doucement. Son pouls accélérait et elle le
sentait cogner contre ses tempes. Le deuxième tentacule se mit lui
aussi à fureter vers elle et tout le reste de la Bête tournait
bientôt pour lui faire face.
Ses
mains étaient froides. La peur s'insinuait dans ses jambes, la
préparant à la fuite.
Mais
les lames virevoltantes se calmèrent, et la créature lui tourna
finalement le dos avant de faire quelques pas et de disparaître
derrière une souche.
Zakoa
expira. Ce n'était pas passé loin. Elle se redressa légèrement
pour tenter d'apercevoir Nasygwa, mais plus rien. Elle ne l'entendait
même plus mastiquer.
La
terre se mit tout à coup à trembler. Surprise, Zakoa planta plus
fermement ses sabots dans le sol boueux pour améliorer son
équilibre, elle s'appuya également sur sa lance. Des oiseaux
s'envolèrent derrière elle. Machinalement, elle se retourna.
Et
le monstre était là, qui la chargeait. Les lames jaunes fouettaient
l'air tandis que la masse de muscles compacts s'élançait vers elle.
Son instinct pris le dessus, et elle s'enfuit.
Pour
un Kiumbe, fuir n'a rien de honteux. Un Kiumbe valeureux n'est pas
celui qui a terrassé de nombreux adversaires, mais plutôt celui qui
leur a échappé. Et en terme de course, Zakoa s'y connaissait. Elle
se mit à zigzaguer à travers la végétation, passant sous une
branche, sautant au dessus d'un rocher. Aucune fatigue ni aucune
crampe ne venait la perturber. Sa respiration, en revanche, s'était
emballée, de même que son rythme cardiaque. Ses sabots fendus
garnis de coussinets galopaient sur le sol humide et glissant du
marais. Derrière elle, les craquements des branches brisées, le
bruit mat des roches qui explosent et les cris des animaux en fuite
se rapprochaient. La Bête gagnait du terrain.
Grimper
aux arbres était exclu, Nasygwa les aurait mis en pièces en un rien
de temps. Si Zakoa avait été dans les grandes plaines, elle aurait
put dérouler ses longues jambes et atteindre une vitesse bien plus
importante. Mais dans cette jungle moite et épaisse, pleines
d'embûches et où l'eau qui dormait pouvait cacher un puits mortel,
elle ne pouvait pas aller assez vite. La Bête n'avait pas ce
problème, puisqu'elle détruisait tout sur son passage. C'était
injuste, eu quand même le temps de penser Zakoa avant d'avoir une
autre idée.
Elle
obliqua brusquement sur la gauche, accélérant le pas. Une écharde
passa près de son visage, la Bête avait tranquillement négocié
son virage. Une flaque immense apparut soudain. Au lieu de sauter par
dessus, ce que Zakoa aurait put faire facilement, elle plongea.
Heureusement,
l'eau était profonde, et la princesse des Emelas commença à nager
vers le bas. Une fois au fond, elle patienta, espérant que son
poursuivant se décourage et l'abandonne là.
Elle
attendit. Du fait de sa course effrénée, elle était presque à
bout de souffle, et elle ne pourrait pas tenir bien plus longtemps.
Si la Bête ne partait pas... Sa main se resserra autour de la hampe
de sa lance.
Elle
aperçut bientôt une pâle lueur. Le soleil perçait peut être à
travers la canopée. Mais la lueur se mit à onduler vers elle.
C'était un des tentacule. La Bête, trop grosse pour plonger dans
l'eau, la cherchait à l'aide de cette immonde appendice.
Folle
de rage face à tant d'acharnement, Zakoa nagea vers la lumière,
l'agrippa fermement de sa main gauche et tira, de toutes ses forces.
Le tentacule se contracta et l'instant d'après, elle était hors de
l'eau. Sa main droite décrivit un large arc de cercle, et la lance
qu'elle tenait trancha le cordon vivant. Elle retomba dans l'eau. Des
bulles lui brouillaient la vue et elle sentit comme une morsure à
son sein gauche. Elle sortit de la marre en titubant et jeta un
regard sur sa poitrine. Sa tunique blanche, trempée, avait été
lacéré et du sang perlait sur le tissu.
Le
rugissement de Nasygwa la fit sursauter. Machinalement, elle se remit
à courir. Tout en allant, et malgré le stress qu'elle éprouvait,
elle ne put s'empêcher de remarquer que la forme de sa blessure lui
rappelait quelque chose. Mais il fallait accélérer, encore et
encore et La Bête semblait infatigable.
Ce
ne fut que lorsque le tentacule encore en état vint claquer près de
ses ouïes qu'elle comprit. Ces blessures, c'était sur le corps
meurtri de Soran qu'elle les avait vues.
Soran,
qu'elle était venue pour venger, avait été mis à mort par la
Bête. C'était tellement évident. Une note plaintive perça à
travers le fracas de la poursuite. Zakoa pleurait.
Elle
s'arrêta.
Se
retourna.
Et
se remit à courir.
La
Bête était trop enragée pour se rendre compte de quoi que ce soit.
Une seule pensée obsédait son esprit, piétiner à mort cette
intruse, puis la lacérer de part en part jusqu'à ce qu'elle ne
bouge plus. Puis recommencer.
Elle
n'avait pas toujours été aussi violente. Elle n'aimait pas quand
les êtres noirs venaient la piquer. Mais la sensation était légère,
juste un peu désagréable, et passait vite. Dernièrement, un autre
être, différent et à l'odeur étrange, l'avait approché. Il
l'avait piqué lui aussi. La douleur l'avait presque assommé. Elle
s'était débattu, pourtant, la chose qui la martyrisait était
introuvable. Elle s'était frottée sur des troncs, baignée dans
l'eau et roulée dans la boue mais rien à faire. La douleur s'était
emparée d'elle et ne l'avait plus jamais lâché.
Les
tentacules étaient apparus le lendemain. Ils contrôlaient la
douleur. Lorsqu'elle leur obéissait, son tourment cessait. Si elle
leur résistait, la souffrance devenait si insupportable qu'elle
entrait dans une incontrôlable fureur. Elle finissait toujours par
faire ce qu'ils lui demandaient.
Ils
voulaient qu'elle quitte les marais, et elle les avait quittés. Là,
elle avait aperçu un jeune mâle de l'espèce des êtres noirs qui
la piquaient. Mais celui là était plus clair. Les tentacules avait
voulut le voir mort, mais la Bête n'avait rien contre cette créature
et une partie d'elle même s'y était habituée. Elle avait refusé.
La douleur l'avait alors envahit à nouveau, s'infiltrant dans son
esprit, dans son corps. Elle s'était débattu, déracinant des
arbres et hurlant à s'en rompre la gorge. Le jeune mâle avait
d'abord cherché à l'apaiser. Il lui avait dit les mots, ceux qui
lui avait été prononcé dans son enfance. Cela n'avait rien changé.
Elle ne voulait pas qu'il s'approche. Elle avait cherché à reculer,
mais les tentacules avaient fouetté l'air et entaillée la chair du
Kiumbe. L'odeur du sang et de la peur s'était ensuite emparée
d'elle. Le reste était flou. Elle était en colère, enrageant
d'être ainsi prise au piège. Elle n'avait pas comprit ce qui se
passait et n'avait plus vraiment sut ce qu'elle faisait. L'élancement
insupportable avait finit par disparaître. Le jeune mâle gisait,
inconscient.
Apeurée,
la Bête avait fuit et s'était enfoncée plus profondément dans les
marais. Puis elle avait sentit l'odeur de la jeune femelle, et la
douleur était revenue...
Nasygwa
était trop enragée pour se rendre compte de quoi que ce soit. Zakoa
en était presque certaine. N'importe quel animal sain d'esprit se
serait arrêter. Il lui aurait ensuite peut être sauter dessus pour
la mettre en pièce, mais même le plus féroce des prédateurs
s'arrête quand la proie se retourne.
Zakoa
s'était retournée, la Bête ne s'était pas du tout arrêtée.
Décidément,
quelque chose n'allait pas.
Face
à une telle masse, elle n'avait aucune chance. Au dernier moment,
elle bondit, utilisant à pleine puissance ses jambes athlétiques.
Elle s'arc-bouta, maintenant sa lance au dessus de sa tête.
Les
deux corps entrèrent en collision. La pointe en dent de Jilmonek
vint mordre la carapace de chitine de la Bête, juste au dessus du
front.
Blessée,
la créature rua avec violence. Zakoa était secouée dans tous les
sens, ses bras tremblaient et ses mains s'écorchaient sur la hampe
de sa lance. Le tentacule encore intact essaya de l'atteindre, il la
rata une première fois puis réussi à lui fouetter le dos. Zakoa se
mordit les lèvres. La lame volante revint à la charge, mais Zakoa
l'attendait. Elle lâcha sa lance et saisit la tentacule au vol.
Prise par l'élan de la Bête, elle pivota autour de la tête,
emportée par cette liane vivante avant de s'écraser contre le flanc
de la créature, qui courait toujours. Entre ses mains, la chose se
débattait avec énergie.
Zakoa
tenait bon. Elle commença alors à grimper, puis elle lâcha une
main et se mit à se balancer pour atteindre sa lance.
La
Bête devait mesurer au moins trois fois sa taille. Elle déboulait à
toute allure et parfois venait s'écraser contre un arbre, une
souche, un rocher. Jusque là, aucun d'eux n'avaient atteint Zakoa.
Finalement,
au prix d'intenses efforts, elle réussie à saisir son arme. Mais
elle dut pour cela lâcher de nouveau le tentacule qui fila vers elle
au moment où elle ôtait la lance.
Elle
tomba. Un bruit humide et visqueux, puis la patte de la Bête
l'écrasait.
Heureusement
pour elle, la boue était épaisse, pleine de terre gorgée d'eau,
comme toute boue qui se respecte. Alors que ses côtes se faisaient
broyer, elle avala une gorgée de limon avant de fermer la bouche. Le
goût du sang l'envahit. Elle allait mourir, là, dans cette fange
infâme, écrasée par ce qui avait eu raison de son amour.
La
douleur cessa, la créature avait relevé sa patte. Celle ci
continuait de rugir et de ruer, mais Zakoa parvint à se relever.
Les
Kiumbes sont robustes et Zakoa remercia les anciens pour ce don.
Prenant appui sur sa lance, elle sortit de l'eau. Sa tunique était
méconnaissable. Elle toussa, et un peu de liquide rouge vint
s'ajouter à la mosaïque informe qui couvrait son vêtement.
Elle
n'avait plus le choix, elle devait frapper vite et fort, là où ça
ferait mal.
La
Bête s'arrêta. Elle respirait bruyamment, ses petits yeux rougis
par l'excitation était cerné d'un noir profond. De la bave
dégoulinait et l'odeur du sang et de la transpiration embaumait
l'air.
Zakoa
profita de ce moment de répit pour agir. Elle sprinta vers la Bête,
qui, stupéfaite, tenta un pas de côté. Trop tard, la lance se
ficha à la base du tentacule. Zakoa découpa d'un coup sec
l'appendice immonde qui, même tombé au sol, continuait de s'agiter
dans des convulsions frénétiques.
La
Bête hurla et balança brutalement la tête, percutant Zakoa qui
s'envola pour s'aplatir contre un arbre qui émit un craquement des
plus inquiétant. Il tomba, déraciner par l'impact.
Comme
l'arbre avait absorbé la majorité du choc, Zakoa parvint à se
relever, encore. Elle regretta immédiatement de l'avoir fait, tout
son corps se révoltait et réclamait qu'elle arrête de se faire
punir de la sorte.
Nasygwa
n'était pas décider à lui accorder un instant de répit et de
nouveau, elle se ruait vers elle.
Si
Zakoa avait été en meilleure état, elle aurait peut être put
remarqué que la démarche de son adversaire était moins sûre,
moins vive. Seulement, elle était aveuglée par la rage, la douleur
et un irrésistible désir de vengeance. Elle sauta sur le tronc
déraciné, et se prépara à recevoir la charge du béhémoth. Au
moment où la Bête allait la percuter, elle s'agrippa aux défenses.
Les massives pattes piétinèrent ce qui restait de l'arbre pendant
que Zakoa commençait son ascension, prenant appui sur les défenses
elle saisit les replis graisseux qui cachait presque les yeux de la
créature. Puis elle planta sa lance là où se trouvait le premier
tentacule, au niveau des tempes. Puis, elle frappa encore, et encore.
La
Bête hurlait, mugissait, et criait mais Zakoa entendait seulement
les cris de son époux alors qu'elle le tenait dans ses bras. A un
moment, elle se sentit chuter.
La
Bête s'effondra sur le sol, soulevant des gerbes de boues et un
nuage de mouches grasses. Zakoa se remit sur pied. Elle recracha un
peu de terre avant de lever les yeux. La Bête gisait, étendue dans
la rivière, son sang se mélangeant à l'eau des marais.
Zakoa
poussa un beuglement où se mêlait victoire et chagrin : un
sanglot triomphale qui fit vibrer la jungle une dernière fois.
Peu
après, elle s'en alla pour retrouver sa tribu.
Le
calme revint sur les marais, et les petits raxs, que tout ce vacarme
avait apeuré, pouvaient enfin sortir de leurs cachettes.
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