NARAX
Le
mannequin tressailli et le carreau vint se ficher dans son œil
sculptée.
« Pas
mal non ? Demanda Jack
_Oui,
excellent, une grande précision capitaine.
_Merci
Katar, bon, on y va ?
_Attendez
un instant, et surtout, ne me prévenez pas, sinon, ça ne vaut pas.
_Comme
tu voudras, prêt ?
_A
vos marques ! »
Katar
se mit à quatre pattes, la queue dressée au dessus de la tête. Le
capitaine Jack White rechargea son arbalète de poing et se mit en
joue. Il inspira profondément, puis expira avant de retenir son
souffle. Sa main était immobile, il pressa la détente.
Au
même instant, Katar s'élança. Le mannequin, impassible, attendit
le choc, mais en vain.
Katar
avait attrapé le projectile au vol. Il lui tournait le dos, sa queue
effleurant le nez de la cible d'entraînement.
Des
applaudissements mesurés retentirent.
«Impressionnant,
sincèrement, je suis outré, où as tu appris à faire ça ?
_
Mon ancien maître était bien meilleur, lui l'aurait attrapé à
mi-chemin. Je suis encore trop lent. En plus, je l'ai touché.
_Tu
plaisantes, c'est incroyable ! En tout cas, je comprends
pourquoi tu as toujours dédaigner les armes de tirs.
_Ce
serait faire insulte à mon entraînement.
_Et
surtout, vu que tu cours plus vite que les projectiles, ça n'a plus
vraiment d'intérêt.
_Vous
avez sûrement raison. »
La
différence entre les deux individus frappait. D'un côté le
capitaine : un homme fin, aux longs cheveux noirs bouclés
entourant un visage rieur à la peau matte, brunie par le soleil. Ses
yeux olives posaient sur le monde un air amusé. Il se tenait droit,
son nez aquilin légèrement penché vers l'avant, comme si il
s'apprêtait à fondre sur une proie.
Face
à lui, Katar, un Vanara, homme singe aux yeux jaune venu d'un autre
monde.
Légèrement
plus petit que le capitaine, Katar était trapu, velu et cependant
très mince. Ses gestes souples animaient des bras puissants couturés
de cicatrices et une longue queue décorées de rubans et de petites
clochettes en argent.
L'habit
de Jack consistait d'un manteau de cuir buriné duquel s'échappait
le fourreau d'un sabre de marine. Katar quant à lui, torse nu, ne
portait qu'un pantalon bouffant rouge et un foulard bleu clair noué
autour de sa taille. Un serre tête en métal lui encadrait le front
avec, en son centre, une éclipse de soleil gravée.
« Bon,
c'était amusant, mais je ne suis pas venu te voir pour cela.
_Je
me doute que mes exercices ne vous intéressent pas.
_Détrompes toi, je l'ai trouvé très instructif, mais je venais t'annoncer que ton maître t'as fait demandé.
_Détrompes toi, je l'ai trouvé très instructif, mais je venais t'annoncer que ton maître t'as fait demandé.
_Otta...
_Oui,
le Seigneur des deux mondes requiert ta présence. Tu dois l'avoir
rejoins à son camp avant la tombée de la nuit.
_Il
n'est pas à la citadelle ?
_Non,
il a rassemblé ses armées et ils se sont établis non loin de Dar
Jiling.
_Où
ça ?
_Dar
Jiling, le petit port le long de la Desperado.
_Votre
grande mer ?
_Un
fleuve Katar, un fleuve, je te l'ai déjà expliqué cent fois !
_Oui,
pardonnez moi.
_Es
tu à ce point dénué de curiosité ?
_Peut
être, c'est juste que votre monde ne m'intéresse pas.
_Et
bien dans ce cas, ta nouvelle mission devrait te plaire.
_Pourquoi
donc ?
_Oh,
je te laisse le plaisir de la surprise. »
Intrigué,
Katar le regarda s'en aller.
Qu'est-ce
que le chef de guerre pouvait bien vouloir de lui ?
Les
marais avaient bien changé depuis le combat terrible qui s'y était
déroulé. La carcasse de Nasygwa, la Bête, avait été dévoré par
les raxs et les autres charognards. Son squelette couvert de mousse
rampante et de lianes, enfonçait ses côtes dans le sol boueux,
telle une mâchoire difforme ouverte vers le ciel. Le crâne mordait
dans le limon fertile, un trou profond ornant son front, souvenir de
sa dernière bataille.
Il
y eut un courant d'air, venu de l'intérieur du cadavre décomposé.
Des rides se formèrent à la surface de l'eau stagnante. Puis un
grondement sourd engloba l'ensemble de la zone. Une décharge crépita
contre les os brisés, puis une autre, et de plus en plus jusqu'à ce
que l'atmosphère soit saturée d'électricité statique. Enfin,
après une brève accalmie, une profonde aspiration détourna le vent
qui vint s'engouffrer dans la carcasse. Une lumière vive et intense
illumina les environs. Puis sa puissance diminua progressivement
jusqu'à ce qu'il ne persiste plus qu'un écran d'un blanc laiteux,
flottant dans l'air.
Une
forme en sortit, une main et un pied, puis un corps entier. Katar
marcha dans une flaque de boue.
Ce
premier pas sur ce nouveau monde ne présageait rien de bon pensa
Katar en fermant les yeux. Enfin, il traversa le portail.
Ce
fut d'abord les longues herbes coupantes contre sa peau, puis
l'humidité du sol et enfin, la puanteur qui le saisit alors qu'il
entrait dans ce nouveau monde. Il leva les yeux. Il se trouvait au
milieu d'une gigantesque dépouille, celle d'un animal immense, qui a
en juger par l'odeur avait dut rendre l'âme plusieurs mois
auparavant. Après l'invasion de son monde par Otta, Katar avait pris
l'habitude de compter le temps en mois, en année ou en semaines.
Mais il n'en avait pas toujours été ainsi.
Récapitulons,
pensa-t-il. Il avait été tiré du navire de Jack et emmené à ce
rassemblement hétéroclites de guerriers appelé armée. Puis Otta
l'avait reçu pour lui donné sa nouvelle mission : partir dans
le nouveau monde pour en estimer les périls, les dangers et
éventuellement, les opportunités. Katar n'avait pas vraiment eu le
choix. Il avait donc aiguisé et nettoyé sa lame et s'était avancé
vers le sorcier. Ce petit homme masqué dansait et gesticulait dans
le vide. Par moment, un courant d'air soufflait dans un sens
inattendu, puis virait en spirales, soulevant un nuage de poussières.
Soudain, la lueur du portail blanc l'éblouit et le sorcier s'écarta.
Couvert de sueur, les traits tirés, les yeux rougies, abattu de
fatigue, il s'écroula alors qu'il croisait Katar. Le singe eut le
réflexe de le retenir. La peau nu de cet homme en sueur le dégoutta
un peu, mais il n'en laissa rien paraître et le remit sur pied. A sa
grande surprise, le sorcier lui adressa la parole :
« Merci
mon jeune ami, on ne se rend pas compte à quel point cela peut être
difficile. Très éprouvant comme expérience.
_J'imagine.
_J'imagine.
_Vous
devez être l'éclaireur d'élite d'Otta ?
_Oh,
je ne suis que son serviteur, je n'ai rien d'une élite.
_Pourtant,
vous serez le premier, aussi, j'aimerais connaître votre nom ?
_Je
m'appelle Katar, et vous ?
_De
par le monde on me connaît sous de nombreuses identités, le
seigneur des trois mondes lui, m'appelle Maas. J'espère pouvoir vous
être utile pour la suite de votre voyage.
_Un
grand merci, seigneur Maas, mais ce ne sera pas nécessaire.
_Nous
verrons cela, bon courage jeune Vanara. Que la pleine lune éclaire
vos nuit.
_Et
vos jours aussi, sorcier. »
Enfin,
Katar avait franchit le portail.
Il
perçut soudain un tremblement de terre. L'eau dormante près de lui
se mit à s'agiter et d'un coup, l'animal fut sur lui. Katar dégaina
son arme et recula d'un pas. Devant lui, la créature la plus hideuse
et sûrement la plus féroce qu'il lui ait jamais été donné de
voir.
Quatre
pattes griffues, des yeux jaunes malveillant fendus à l'horizontal
par un large trait noir. Et une carapace de chitine courant le long
du dos s'étirait en une longue queue tranchante. A son extrémité
oscillait un croissant acéré capable sans aucun doute de trancher
une gorge d'un seul horion.
Tous
ces détails étaient pourtant secondaires.
Ce
qui préoccupait vraiment Katar, c'était les deux tentacules qui
s'agitaient devant lui et plus précisément, ces lames brillantes en
forme de losanges qui menaçaient de le découper en morceaux.
La
bête s'avança vers lui ouvrant une gueule garnie de longs crocs
baveux. Elle attaqua, fouettant l'air en direction de sa proie. Katar
esquiva de très peu l'épieu volant en se baissant à la dernière
seconde. Il fit un pas en avant, cala son coude, arma son bras. Puis
déplia le tout, son corps, le bras et le poignet. Le résultat fut
un uppercut brutal contre la mâchoire de son agresseur. La bête fut
projetée en arrière, un liquide orangé s'échappant en jets du
trou béant dans sa mâchoire. Elle ne se releva pas. Pour finir,
d'un geste vif du revers de la lame, Katar se débarrassa des fluides
vitaux. Puis il essuya sa dague sur le foulard à sa ceinture, et la
rengaina dans un fourreau cousu à même son pantalon.
L'arme
du Vanara était très belle, un ouvrage d'une exceptionnelle
qualité. La poignée en ivoire s'emboîtait parfaitement dans le
manche et la garde, tout deux incrustés de métaux rares et
d'inscriptions finement ciselées. Pour compléter le tableau,
quelques pierres précieuses serties en suivant un motif à la
géométrie compliquée dirigeait le regard vers la lame propre et
aiguisée.
L'ensemble
résonnait de puissance. Les enchantements nombreux se mariaient et
se renforçaient harmonieusement.
« Alors
singe, comment ça se passe ici ? »
Talwar,
éclaireur en chef de l'armée et une des meilleures lames le long de
la Desperado, venait de franchir le portail. Son visage affichait en
permanence un air grincheux et il se tenait légèrement voûté. Il
avait toujours ses deux sabres à la main, des armes usées,
couvertes de sang séché et de poussière mais au tranchant par
contre toujours impeccable. Des yeux vert-brun et de petites oreilles
presque collées au crâne chauve, une démarche assurée et
menaçante, des gestes agressifs, secs et brusques, enfin bref, une
attitude belliqueuse.
Katar
ne l'aimait pas beaucoup. Il lui répondit néanmoins.
« Ca
se passe très moyen, ce truc s'est jeté sur moi et a faillit me
découper avec ces deux choses là par terre.
_Des
trucs et des choses, t'es toujours aussi précis ou c'est juste parce
que t'es trop con.
_La
bête a essayé de me tuer avec ces... tentacules, corrigea Katar,
agacé.
_Bon,
et y en a d'autres ?
_Je
ne sais pas, mais sûrement, faudrait que j'aille vérifier.
_Et
bien vas y, allez, et reviens avec des infos un peu plus détaillées
cette fois. »
Katar
se mit aussitôt en route. Alors qu'il s'enfonçait dans l'épaisse
végétation, Jack et son équipage émergeaient à leur tour de la
gigantesque carcasse. Ils se mirent au travail, construire un avant
poste destiné à accueillir le reste de la force d'invasion. Talwar
et ses hommes se postèrent quant à eux autour du petit groupe en
sentinelle.
Grimpant
de branches en branches, Katar laissait les marais se refermer sur
lui. Il s’imprégnait de l'endroit, de la forme des arbres, de la
consistance de l'air, des bruits de la faune qui piaillait et
coassait alentours. Cela lui faisait du bien, d'être de nouveau en
terre inconnu, loin de tout ces « supérieurs » à qui il
devait obéir. Lorsqu'il était en mission, il était libre, et cette
sensation lui faisait oublier la majorité des désagréments, comme
l'humidité qui s'infiltrait dans ses vêtements, sur sa fourrure et
qui le faisait abondamment transpirer.
Il
scrutait attentivement le moindre point d'eau, le plus petit buisson.
L'attaque surprise du monstre l'avait pris au dépourvu, et il
remercia ses réflexes de l'avoir sauvé.
A
force de chercher, il finit par apercevoir une forme inhabituelle,
ronde, à demi immergée sous l'eau. Curieux, il s'en approcha.
Du
haut de son perchoir, il pouvait à loisir l'observer sans être
repéré.
Il
distinguait une grosse tête aux yeux globuleux surmontée d'une
crête constituée de plusieurs épines voilées lézardait dans la
boue. De petites antennes luisante jetaient alentours cette maudite
lumière dorée.
Katar
était perplexe. D'un coup, il se figea. La créature le fixait d'un
regard placide, vide d'expression, mais braqué droit sur lui. Comme
hypnotisé, Katar n'arrivait pas à la quitter des yeux. Il y eut un
mouvement, un remous. La bête s'enfonça dans les eaux laissant à
Katar le temps de remarquer une carapace de chitine noire.
Soulagé,
il chercha une nouvelle prise pour reprendre sa route à travers la
canopée.
Une
vaguelette le tira de ses réflexions. La bête remontait t-elle ?
Katar se mordit la lèvre en étouffant un cri. Ce qui sortait de
l'eau avait une tête allongé, des pattes griffues et deux
tentacules. Mais le pire était qu'il y avait neuf de ces créatures
et qu'elles se dirigeaient toutes vers lui.
Elles
quittèrent la mare au pas mais une fois sur un sol plus ferme, elles
se partirent au galop. Pour Katar, s'en était trop. Il avisa la
branche la plus proche, la saisit et se mit à fuir par les arbres.
Mais
bien vite, il se rendit compte de son erreur car ses poursuivants
gagnaient sur lui. Il se jeta donc sur une liane et s'en servit pour
descendre des cimes. Il atterrit sur ses quatre pattes et détala,
ventre à terre.
Sur
ce terrain, il arrivait à les maintenir à distance. Il entendait
leur coassements s'éloigner à mesure qu'ils perdaient du terrain.
Il arriva soudain devant une grande mare d'eau fumante. L'un des
monstres était parvenu de l'autre côté et Katar aurait juré qu'il
lui souriait. Les autres arrivaient, ils avaient exécuté une
manœuvre d'encerclement et fonçaient sur ses flancs. Katar pensa à
faire demi tour, mais une tentacule claqua à son oreille et il n'eut
pas le temps de réfléchir.
Il
bondit, par pur réflexe. Le monstre était toujours là. Si il ne
faisait rien, il serait cueillit au vol comme un fruit bien mûre. Il
dégaina alors sa dague et détendit son bras, tournant sur lui même
pour prendre de l’élan. Tendu, son épaule au centre d’un axe de
rotation mortel il laissa l’énergie de ses muscles bandés
s’emmagasiner au niveau de sa main. Puis il libéra la dague qui
tournoya avant d’être arrêtée par la tête de la créature. De
nouveau, l'arme gouttait au sang de son ennemi. Ce dernier mourut sur
le coup, s'affaissant et laissant le champ libre à Katar.
Toujours
sur ses talons, l'un des monstres s' élança à son tour. Ses
pattes arrières puissantes le catapultèrent littéralement vers la
gorge de Katar. Ce dernier se saisit du corps à ses pieds et le
lança sur son agresseur. Les deux masses entrèrent en collision,
les forces s'annulèrent et la gravité pris le dessus. Ils
tombèrent. Bientôt, il ne restait plus d'eux qu'un peu de fumée
sur l'eau brûlante. Katar était déjà repartit.
Il
continua de courir jusqu'à ce qu'enfin, le camp apparaisse à
travers l'épaisse végétation. Seules les fondations en bois
avaient été posé. Le chantier avançait vite et Jack menait les
opérations tandis que de petits êtres encapuchonnés exécutaient
ses ordres avec diligence et efficacité. Des machines les aidaient,
constructions faites de bric et de broc qui semblait prêtres à
s'effondrer au moindre coup de vent. D'ailleurs, on les entendait
crisser, fumer et tinter lorsque leurs composants s'entrechoquaient.
Katar
n'avait aucune idée de leur utilité, et c'était le cadet de ses
soucis. Il passa une sentinelle et son regard parla de lui même. Le
soldat saisit la poignée de son sabre, prêt à dégainer. Il
s'appelait Kindjal, et c'était un vétéran de la guerre des fleurs
et des fruits. Lorsque Otta avait envahit Vanara et défier son
monarque, le Roi Soleil. En tant que Desperado, Kindjal portait sur
son armure et son fourreau l’emblème d'Otta, une pleine lune
entourée de petites étoiles.
Il
parcourait des yeux les alentours, en quête de ce qui pouvait bien
avoir effrayé le singe à ce point. Il n'eut pas à chercher
longtemps. L'un des poursuivants émergea de la marée verte. Il
marchait lentement et seuls ses tentacules trahissaient sa présence.
Les deux points lumineux furent rejoins par d'autres. Peu à peu, une
petite constellation se regroupaient devant Kindjal et les autres
sentinelles qui accouraient rapidement. Les deux groupes étaient
face à face, séparés seulement par un rideau de feuilles et de
branchages.
Soudain,
les créatures surgirent des ombres et se ruèrent sur les
défenseurs. Kindjal et les autres sentinelles dégainèrent et
chargèrent à leur tour. L'un des hommes eut la gorge tranchée par
un tentacule tandis qu'un autre en perçait un de part en part. Le
vrai combat commença ensuite. Par réflexe, Kindjal para un coup de
griffe au visage, son sabre vacillant sous la violence du choc. A son
tour, il s'avança et faucha les pattes de la créature. Elle chuta
et avant qu'elle n'ait le temps de se relever, la pointe de l'épée
traversait la carapace de chitine et plusieurs organes vitaux.
Aussitôt,
une autre bête se jeta sur lui. Mais Kindjal opposa son sabre aux
crocs tranchants. Le monstre
s'aida de ses griffes et tenta de passer sa défense en pesant sur
l'arme de ses deux pattes puissantes. Les adversaires luttaient pour
l'emporter, une épreuve de force brute. Kindjal commençait à
repousser la créature lorsque soudain, il fut prit d'une violente
quinte de toux. Ses forces l’abandonnèrent alors qu'il crachait du
sang au visage de son assassin. Il baissa les yeux. L'un des
tentacules lui avait perforé la poitrine et un poumon. Il tomba à
genoux et mourut lorsque la bête lui arracha la tête.
Talwar,
le chef des sentinelles, soupira. Il venait d'achever son quatrième
adversaire. Il avait vu que Kindjal était en difficulté, mais sa
mort l'avait pris au dépourvu. Ainsi étaient leurs ennemis :
vifs, rusés et impitoyables. Lui même devait se surpasser pour
survivre. Il tranchait, tailladait, découpait sans relâche, mais
ces animaux, apparemment dépourvus d'instinct de survie s'avéraient
en revanche assoiffés de meurtre. A l'évidence, ils savaient se
battre.
Mais
ils n'étaient pas assez doués pour venir à bout de lui. Il tissait
une toile de mort, maniant ses deux sabres avec une habileté et une
adresse consommée. Les premiers assauts, brutales et sans merci, lui
avaient néanmoins fournis une information capitale. Privés de leurs
tentacules, les créatures devenaient moins agressives, et certaines
allaient même jusqu'à s'enfuir.
Au
milieu du chaos de la bataille, il aperçut Katar, revenu pour leur
prêter main forte. Le macaque ne s'attaquait jamais seul à un
ennemi et préférait aider les guerriers en difficulté. Talwar
n'aimait pas cette lâcheté, il l'aurait exécuté depuis bien
longtemps. Mais Otta avait parlé, il devrait vivre avec.
L'escarmouche
cessa aussi soudainement qu'elle avait commencé. Les attaquants
avaient perdu et gisaient ça et là, tout comme trois des
sentinelles. Contrairement à Katar, qui déjà nettoyait son arme,
Talwar resta immobile, appréciant ce combat jusque dans ce dernier
mouvement qui y avait mis fin, ses deux sabres s'égouttant sur le
sol humide du marais. Il respirait et transpirait abondamment et se
tenait encore plus voûté qu'à l'accoutumée. Un rictus barrait son
visage grossier, comme une plaie ouverte sur sa bouche, dévoilant
une dentition sale et anarchique : un sourire.
Il
fut bientôt rejoins par Katar et le reste de ses hommes, puis par
Jack White et un nouvel arrivant, le sorcier responsable de
l'ouverture du portail : Maas.
Jack
commença le premier, il demanda :
«
On dirait que vous avez eu quelques problèmes par ici ?
_Une
attaque de ces choses, là, répondit Talwar en pointant du doigt les
restes d'une des créatures.
_D'accord,
et ces « choses » ont un nom ?
_Aucune
idée, c'est Katar qui a trouvé cette dénomination que je trouvais
au début peu précise, mais finalement ça leur va plutôt bien.
_Ça
ne va pas du tout, intervint le sorcier, ces choses comme vous dites
ont un nom et il convient d'utiliser le terme approprié. »
Talwar
n'aimait pas le sorcier, rien de personnel, Talwar n'aimait personne.
Côtoyer un être aussi dangereux le mettait mal à l'aise. Maas
était une légende, le conseiller personnel d'Otta, son enchanteur.
Lui qui, vingt ans auparavant, ouvrit le portail menant à Vanara. Et
encore avant, lui qui permit à Otta de venir à bout des armée de
l'Empereur Étoilé.
Jack
coupa soudain court à ses réflexions :
« Et
comment faut il les appeler alors ?
_Ces
êtres ont goûté au sang d'un des Rejetons de la Vieille Nuit. Ils
ne font pas partie de l'ordre naturel. Ils furent imbus d'une
puissance trop grande et leur corps durent s'altérer pour tenter de
l'appréhender.
_Tout
cela est très bien, mais leur nom ?
_Ce
sont des Naraxs. »
Katar
ne voyait pas bien ce que cela changeait, même si le fait de pouvoir
mettre un nom sur ces abominations les rendaient moins effrayantes,
plus palpables.
« Et
vous pensez qu'il y en a d'autres par ici ?
_Non
seulement je le pense, mais je crois même qu'ils reviendront vite et
qu'ils seront bien plus nombreux.
_Assez
pour prendre le camp d'assaut ? s'inquiéta Jack,
_Si
rien n'est fait, toutes les sentinelles seront massacrées, et nous
avec.
_Dans
ce cas, je vais envoyer quelqu'un à travers le portail chercher des
renforts. Katar peut être ?
Celui-ci
baissa les yeux, il n'avait aucune envie de refaire ce voyage qui
l'effrayait mais pire encore, se retrouver face à Otta ne
l'enchantait guère. Heureusement pour lui, Talwar pris la parole.
« Laissez
le singe ici, j'irais. Contrairement à Katar, j'ai affronter ces
naraxs. Je connais leur tactiques et pourrait préparer les troupes
en conséquence.
_Et
bien voilà qui est réglé, dit Jack. Katar et moi même
continueront à travailler sur les fortifications. Revenez nous vite.
_Je
ne serais pas long, dit l'éclaireur en grimaçant.
_Et
vous grand sorcier, que comptez vous faire.
_Je
vais me retirer pour méditer et essayer de trouver une solution à
ce problème. Je serais dans ma hutte, derrière la carcasse, que
l'on ne me dérange sous aucun prétexte. »
Sur
ce, il s'en alla. Le soir commençait à tomber. Les rayons du soleil
caressèrent une dernière fois le campement avant de se retirer,
laissant apparaître les étoiles et la ceinture d'astéroïde qui
entourait ce nouveau monde.
L'enceinte
fut asséchée et recouverte de sable. Pendant ce temps, une épaisse
muraille de bois gardée par des pieux et doublée d'un profond fossé
était construite. Son ombre rassurante s'étendait sur les hommes
qui soupaient autour de feux de camps alimentés par les chutes des
travaux de la journée. On dînait de viande rôtie accompagnée de
pain. On buvait de l'eau, jusqu'à ce que les premières troupes
franchissent le portail, accompagnées d'ânes transportant armes,
munitions, et une précieuse cargaison de rhum. Otta avait coutume
d'en servir avant les grandes batailles afin de raviver le courage de
ses hommes.
Et
ils allaient en avoir besoin. Les sentinelles s'acharnaient à
compter le nombre de points lumineux qui dansaient dans les ombres,
mais plus le temps passait, plus leur inquiétude allait
grandissante. Certains points voletaient en émettant une faible
lueur. D'autres, bien plus gros ne bougeaient que très peu. Enfin,
certains guetteurs remarquèrent plusieurs lumières passant parfois
au dessus des arbres. Les mines des soldats étaient sombres,
inquiètes. Ils allaient au combat sans savoir ce qui les
attendaient. On parla et on mangea peu. Les vétérans aiguisaient
leurs lames, les fusiliers huilaient leurs mousquets et vérifiaient
que tout était en bon état.
De
son côté, le Vanara s'était posté devant le portail. Il observait
l'arrivée des renforts tout en affûtant sa dague coup de poing.
D'abord vinrent les Luchadores, un corps de duellistes d'élites. Les
suivaient trois gigantesques taureaux de combats élevés et
entraînés pour combattre au milieu d'une arène ou d'un champ de
bataille. L'une d'entre elle, la plus imposante, était montée par
leur dresseur qui, pour l'occasion, s'était revêtu d'une armure de
plaque décorée d'innombrables arabesques. Un casque à corne
surmontait cet édifice si ostentatoire qu'il paraissait entièrement
constitué d'or. Émergèrent ensuite les enfloradas, porteurs des
redoutables fleurs de Feu. Issus d'une ancienne tradition martiale
propre à la noblesse Desperados, les enfloradas maniaient des armes
polyvalentes et redoutables. Suite à la prise de pouvoir d'Otta, ces
familles avaient perdus une grande partie de leur pouvoir et de leur
prestige. Pourtant, elles continuaient de former leurs deuxième nés
à manier ces lames assorties d'un chargeur et d'un canon.
Ces
forces qui s'organisaient, se regroupaient et se préparaient
redonnèrent un peu de courage à Katar. Il dîna de quelques fruits
et bu une gorgée de rhum avant de s'endormir sur place. Il rêva de
lumières dans la nuit. Il tentait de leur échapper, s'embourbait
dans la boue, s'empêtrait dans les branches sans parvenir à se
dégager. Elles s'approchaient toujours plus et finalement
l'entourèrent. Il baissa les yeux, sa main brillait. Un long
tentacule s'extirpait de sa paume. Il pouvait sentir sa peau se
déchirer tandis que l'appendice se déliait. Le filament se
déroulait toujours plus, lorsqu'une lame en forme de losange éclos.
Il émanait d'elle un halo malsain. Katar eu un haut le cœur.
L'épieu dansait devant ses yeux, à gauche, à droite, à gauche,
jusqu'à ce qu'il lui tranche la tête.
Il
se réveilla en sursaut et laissa échapper un petit cri. C'était le
matin.
Les
soldats étaient prêts. Le capitaine les plaçait selon un plan bien
établi. Les tireurs en haut de la barricade, les sentinelles le long
de la rambarde et à l'intérieur, les taureaux de combat qui
piaffaient d'impatience tandis que les enfloradas vérifiaient une
dernière fois leurs précieuses armes.
D'un
bond, Katar fut sur le chemin de ronde. Les marais semblaient
paisibles. Un petit vent frais jouait dans sa fourrure. Il pris une
profonde inspiration et écouta. Tout était calme, silencieux.
Soudain,
un orchestre se mit à jouer, comme des milliers de grenouilles
coassant en chœur. Diverses voix chantaient : baryton, ténor,
soprano...toute la gamme était présente. L'ensemble, harmonieux à
défaut d'être juste, montait de plus en plus puis s'éteignait
brusquement. Puis sans prévenir recommençait. Ce cycle se répétait,
encore et encore.
Cela
mettait les nerfs de Katar à bout. Sa queue se balançait
instinctivement selon ce rythme. Ses clochettes ajoutaient une note
plus fraîche à cette insupportable cacophonie. Il aurait voulu
pouvoir rester calme et détendu, comme le capitaine Jack qui se
tenait droit, impassible. Les grelots cessèrent de tinter.
La
fanfare sortit des marais et se rua vers les défenseurs. Les tireurs
firent parler la poudre en libérant une myriade de balles. Plusieurs
narax s'écroulèrent sur le coup. Les autres, imperturbables,
continuèrent à avancer. Le rechargement prenait du temps. Dans
l'intervalle, les assaillants avaient pris position au pied du
bastion. Leurs armes naturelles se plantèrent dans le bois faisant
office de piolets d'escalade. Une détonation, et une autre cohorte
de créatures mordait la poussière.
Les
autres grimpèrent sur les corps. L'un des soldats, trop lent, fut
coupé en deux par un des tentacules. Un autre reçut un coup de
griffe qui trouva une artère, le malheureux mourut dans les secondes
qui suivirent noyé dans son propre sang. Alors qu'il s'éteignait,
il vit un homme-singe se jeté sur son assassin et lui planté une
étrange dague dans le cou. Il ferma les yeux.
Ce
n'était pas juste, pensa Katar. Un Narax valait un adversaire
maniant quatre armes à la fois. En priorité, il fallait se méfier
des tentacules qui avaient la fâcheuse manie de surgir par des
angles improbables et à des moments inattendus. Ensuite, il y avait
les pattes avant, dont les griffes devaient bien mesurer un mètre de
long. Deux pattes plus deux tentacules, le compte y était. Soudain,
le monstre se jeta sur lui, la gueule grande ouverte, prête à lui
arracher un bras. Katar roula sur le côté et la trancha en deux
d'un geste ample.
Il
s'était trompé. Cinq armes paraissait plus approprié.
Jack
White rechargea son arbalète. Il se tenait dans la cour et visait
les naraxs qui passait la tête par dessus la balustrade. Jusque là,
il n'en avait manqué aucun. Si cela continuait, ils pourraient peut
être s'en sortir. Il s'apprêtait à tirer lorsque le sol se mit à
trembler. L'un des taureaux s'agita. Son gardien s'approcha pour le
calmer.
« Du
calme mon gros, c'est quoi le problème ? »
La
réponse fut immédiate. Un nuage de poussière explosa et une
immense tête émergea des sables. Deux gros yeux et une grande
bouche qui s'ouvrit largement. Une langue immense en sortit et, aussi
rapide que l'éclair, elle se colla sur la plaque pectorale du
dresseur. Dans un bruit de succion répugnant, le monstre
sous-terrain l'aspira. Les puissantes mâchoires se refermèrent avec
lenteur alors que la créature retournait au fond de son trou.
C'est
par cette nouvelle entrée que les attaquants commencèrent à
affluer.
Fou
de rage, les taureaux de combat les massacrèrent. Privé de maître,
ils ne se contrôlaient plus et piétinaient, encornaient et
écrabouillaient sans aucune retenue. Pourtant, toute leur rage ne
suffirait pas à repousser la vague ininterrompue de ces affreux
batraciens.
Jack
engagea un nouveau carreau et tira. Les enfloradas le rejoignirent et
s'élancèrent dans la mêlée. Vétérans de nombreuses batailles,
ils savaient qu'ils devaient se tenir à l'écart des taureaux. Ils
encerclèrent donc le tunnel. Dès qu'un narax s'éloignait du
centre, il se retrouvait face à la fine fleur de l'armée d'Otta.
Cependant, même l'élite n'était pas à l'abri des lames volantes.
Pour un enfloradas qui tombaient, dix de ses ennemis mourraient avec
lui. Malheureusement, les narax étaient nombreux, trop nombreux.
Jack White soupira, et, anxieux jeta un regard sur les remparts.
La
situation devenait critique. De plus en plus parvenaient à se frayer
un chemin sur le chemin de ronde et de moins en moins d'hommes s'y
tenaient. Le peu qui restaient ne pouvaient plus tirer et devaient
utiliser leurs sabres et leurs poignards pour se défendre. Face aux
appendices meurtriers, ils ne faisaient pas le poids. Heureusement,
Katar et les sentinelles furent bientôt rejoins par les luchadores
qui déferlèrent sur les naraxs comme un ouragan. Leurs pieds
arrachaient des morceaux de chitines et si d'aventure une tentacule
tentait de les transpercer, ils la saisissaient et s'en servaient
pour étrangler leurs agresseurs. C'était des brutes. Les regarder
revenait à contempler un torrent avaler son infortunée victime. Du
sang giclait sur leurs visages, des étincelles jaillissaient de
leurs poings en vacillant un instant dans les airs. Le jeune singe se
prit à espérer. C'est alors qu'il entendit le hurlement.
Une
plainte sourde, comme le souffle du vent dans une grotte, comme le
chant d'un loup sous la lune, comme une flûte brisée crachant son
dernier souffle. Le bruit venait d'en haut. Il leva les yeux.
Un
voile de mariée, sans la belle jeune femme, des ailes diaphanes
blanches et transparentes qui descendaient vers eux pareilles à
d'étranges fleurs tombées des nuages. Le bout de ces ailes
brillaient de cette même lueur que Katar détestait. Elles
s'ouvrirent délicatement.
Brusquement,
un carreau se planta dans l'une d'entre elles, qui se mit à perdre
rapidement de l'altitude. Dans sa course folle, elle passa près d'un
des lutteurs. Elle s'étendit alors démesurément et l'enlaça. La
membrane embrassait son visage, il étouffait. Il se débattait, mais
la créature renforçait son étreinte. C'est alors que Katar vit les
pattes : des centaines d’entre elles, qui s'agitaient
frénétiquement. Elles se plantèrent dans le corps de la victime
tandis que la tête, armée d'une paire de mandibule, sectionnait la
colonne vertébrale.
Katar
sentit un souffle contre son épaule. Il se retourna et comme un
rideau après le spectacle, l'une des horreurs se referma sur lui.
Son aspect repoussant et sa puanteur l'accablèrent. Empêtré dans
les rets, il joua de sa dague pour terrasser la bestiole. A peine
remis, une autre tenta aussitôt de le prendre au piège. Katar
bondit par dessus et la saisit par la queue lui faisant décrire un
large arc de cercle qui termina brutalement sa course contre les
rondins de bois. Des morceaux de pinces et de chitine s'éparpillèrent
dans les airs.
A
l'intérieur du campement, la lutte devenait de plus en plus âpre.
Une seconde secousse eut lieu et Jack qui venait de découper la
mâchoire de son adversaire s'arrêta pour observer. Le sang se
mêlait à la fumée. Une vapeur rouge que le capitaine essayait de
percer. A travers cet épais brouillard il peinait à repérer quoi
que ce soit. Soudain, son cœur sauta un battement. Il distinguait
clairement une crevasse. Immédiatement, il se précipita dans sa
direction. Une seconde après, une immonde tête géante en
émergeait. Mais Jack lui
sauta dessus, sabre au clair. Il atterrit sur son crâne et y planta
sa lame. En la retirant, il libéra un jet de liquide orangé.
Autour
de lui, les naraxs coassaient de rage.
Le
temps sembla s'arrêter. Pleinement conscient de sans doute vivre ses
derniers instants loin de chez lui sur ce monde étranger, Jack
appréhendait entièrement la situation. Les effectifs des enfloradas
s'amenuisaient dramatiquement alors que les luchadores sur le chemin
de ronde tenaient bon. Si ils perdaient le combat pour l'enceinte, ce
serait la fin.
Une
horreur se jeta sur lui. Il eut à peine le temps de dégainer son
arbalète et de la décharger à bout portant que deux autres
bondissaient vers lui. Jack se laissa glisser de la grosse tête et
la paire de monstres se percuta violemment. Les autres allaient le
tailler en pièces, ils grognaient et bavaient à l'idée du festin
qui les attendaient.
C'est
alors que le dernier taureau de combat déboula avec fracas au milieu
de la horde. La fatigue l'avait calmé. Moins nerveux, il leva ses
pattes avant et les posa stoïquement sur la tête d'un narax. Un
second reçu une ruade qui brisa sa nuque avec un craquement
sinistre. Le reste de la meute s'abattit sur lui. Il en encorna
encore un qui s'écrasa contre un tonneau de rhum, heureusement vide,
mais les autres le lacéraient de parts en parts. Il posa un genou à
terre, vaincu, avant d'être englouti par la marée grouillante.
Grâce
à ce répit Jack avait put rallié les enfloradas autour du portail.
Quoi qu'il arrive, ces abominations ne le franchiraient pas. Mais le
seul à pouvoir le refermer, Maas, demeurait introuvable.
Mais
où était donc ce maudit mage ?
Katar
se posait la même question, mais au sujet du chef de guerre. Otta
valait à lui seule une véritable machine de guerre. Ces terribles
engins de destructions Warkals n'avaient sans doute jamais réclamés
autant de victimes que le Seigneur des deux mondes. La situation
empirait. La pluie de narax volants avait cessé, mais elle avait
permis au gros des troupes de se tailler un chemin au cœur du camp.
Le chemin de ronde était perdu et déjà les luchadores se
retiraient vers le portail, où le capitaine avait érigé un mur de
balles entre eux et leurs ennemis.
Katar
se prépara à les rejoindre, mais avant risqua un coup d’œil par
dessus le muret. Des dizaines et des dizaines se pressaient encore
contre les flancs de la forteresse de fortune. Le marais avait cessé
de lâcher ses cohortes infernales, mais ce qui restait suffirait
largement à tous les exterminer. Il crût un instant voir une forme
bouger sous les ombres de la jungle. Mais une lame siffla à son
oreille. D'un bond, il quitta son perchoir précaire et rejoignit ses
compagnons d'infortunes. Ils avaient joué, les narax avaient gagné.
Cependant, les Desperados étaient de très mauvais perdants.
La
phalange mise en place par le capitaine White s'avérait très
efficace. Les fleurs de feu réalisaient un vrai carnage. Protégées
devant par les luchadores et quelques sentinelles, elles tiraient à
bout portant sur l'ennemi. Parmi eux Jack avait ramassé une de ces
armes. Une fleur dans une main, son arbalète dans l'autre, il avait
plus de mal à viser correctement mais les dégâts supplémentaires
compensaient largement ce petit handicap. Jack avait perdu toute
illusion et ne souhaitait qu'une chose, emporter un maximum de ces
saloperies avec lui.
La
porte du bastion tenait bon. Les monstres passaient par les tunnels
ou escaladaient les murs mais l'avaient jusque là épargnés. Alors
que Katar remarquait pour la première fois cet amusant paradoxe,
elle explosa en morceaux. Les éclats de bois fusèrent de part et
d'autre, tuant trois narax et une sentinelle.
La
créature responsable de cette débauche de destruction étaient
montée sur six pattes. Les premières se terminaient par de
redoutables griffes, tandis que les autres s'aplatissaient dans le
sol comme de gros troncs d'arbres. La tête, vaguement triangulaire
étaient entourée d'une crinière faites de petites épines souples
et mobiles. De ces piques, aussi fines qu'une tige, émanaient une
lumière dorée bien plus forte que les autres. La longue bouche
s'étirait en un sourire carnassier tandis que les yeux en amandes,
fendus à l'horizontal contemplaient les survivants d'une
intelligence froide.
Katar
frissonna et sentit les larmes lui monter aux yeux. Il les ferma et
espéra une seconde s'éveiller d'un affreux cauchemar.
Malheureusement
ce ne fut pas le cas.
Sa
démarche souple déplaçait un corps couvert d'une épaisse carapace
de chitine, une armure naturelle à la fois effilée et
aérodynamique.
La
bête prenait de plus en plus de vitesse. Elle allait percuter leurs
rangs et les tuer d'une seule charge. Le singe aurait peut être le
temps de l'éviter, mais Jack savait que lui serait trop lent. Il
pointa ses armes vers le géant. Derrière lui, le portail crépita.
Le sol tremblait de plus en plus à chaque pas
du colosse. Il tira. Le carreau se ficha dans le crâne du
monstre déclenchant alors le tir de barrage des enfloradas, auquel
Jack se joignit en un éclair. La
fumée dégagée lui brouilla un instant la vue. Tout à coup une
ombre passa au dessus de lui et une longue tresse virevolta près de
son visage avant de filer vers la bête.
Le
choc fut si intense qu'il projeta les défenseurs en arrière,
soulevant un nuage de poussière. Au cœur de ce tumulte, on entendit
un grognement grave. Jack toussa, cracha par terre et frotta ses yeux
rougies. Le sable se dissipait progressivement, dévoilant un combat
qui resterait à jamais gravé dans la mémoire des survivants.
Otta
affrontait le béhémoth. Le Seigneur des deux mondes maniait un
large rondin de bois renforcé de fer que trois soldats auraient eu
du mal à soulever. Le Chef de guerre abattait ce bélier de guerre
avec fracas sur son terrible adversaire qui ripostait en balançant
sa tête comme une immense masse d'arme vivante.
Un
homme dans la force de l'âge, grand et torse nu, Otta ne portait
qu'un pantalon pourpre en soie et une large ceinture en or pour tout
ornement. Dans son dos noué de muscle ondulait une longue natte
noire comme la Vieille Nuit.
Il
arborait une expression de joie sauvage alors qu'il paraît les
assauts du monstre. Otta encaissait les coups sans broncher jusqu'à
ce que les griffes mordent dans le bois de son arme et que la bête
s'appuie de tout son poids pour le soumettre. Ses bras tremblaient
sous l'effort. Il hurla et mis en branle toute sa puissance. La bave
de son adversaire ruisselait sur son visage, le regard malveillant
plongé dans ses yeux bleus glacés. Contre toute attente le narax,
dominé, flancha. Enfin libéré, Otta lui enfonça la tête puis
d'un pas en avant pivota sur lui même et la percuta au flanc. Un
gémissement lui échappa. Éperdue de colère, elle se jeta sur lui
pour le croquer. Il arrêta l'assaut de son bélier que les mâchoires
brisèrent d'un coup sec. Alors, il recula.
En
conséquence il adopta la garde à mains nues des luchadores. Le
narax, guère impressionné, repassa à l'attaque. Otta n'avait plus
le choix. Il devait esquiver et trouver l'opportunité qui lui
permettrait de riposter. Un pas de côté à droite, se baisser,
s'écarter à gauche, reculer... acculé. Il n'avait pas de fenêtre
assez longue pour reprendre l'initiative. Alors, il suivit ce
proverbe Desperados : « Si tu ne peux pas passer par la
fenêtre, entre par la porte ».
Lorsqu'une
des griffes menaça de lui trancher la gorge, il avança à sa
rencontre. Maintenant trop proche, la lame effilée passa derrière
sa tête, lui permettant de parer la patte de son avant bras.
Immédiatement après, il lui asséna un direct dans l’œil,
enchaîné d'un violent coup de genou. Une fraction de seconde, Jack
eut pitié du narax mais Otta, irrévocable, continuait de l'écrouer.
La lumière des petits filaments éblouissait les spectateurs et
nimbait leur chef d'une aura presque sacrée.
Le
narax n'était pas taillé pour les duels, il courait et détruisait
tout sur son passage et n'aurait jamais imaginé que quelque chose
puisse le battre à son propre jeu. L'étranger l'avait surpris.
Autrement, tout ce serait déroulé différemment. Il lui fallait une
nouvelle tactique, cette lutte au corps à corps ne tournait pas à
son avantage. Heureusement, la solution était toute trouvée.
Il
battit en retraite tandis qu'Otta le regardait s'enfuir la queue
entre les jambes. Il essuya la bave qui coulait sur son visage, se
barbouillant ainsi du sang qui maculait ses poings. Il respirait
profondément, comme si tout l'oxygène de ce monde lui était
réservé. Des traces de coups parsemaient son corps sinon vierge de
toute cicatrice. Jamais personne n'avait réussi à le blesser
sérieusement et cette créature, pour l'instant, ne faisait pas
exception.
Le
narax fit volte face. Otta l'attendait.
« Rentre
chez toi, murmura Jack, c'est encore ce que tu as de mieux à
faire. »
La
bête n'entendit pas l'avertissement du capitaine. Elle allait
écraser ce petit être et dévorer ses semblables. Ensuite,
elle le mangerait, lui, en dernier. A pleine vitesse, elle savourait
déjà la douce sensation du craquement des os sous ses pas. Mais à
la place, elle ressentit une violente décharge lui parcourir le
corps. Le choc se répercuta de la pointe de son museau jusqu'au bout
de sa queue. Contre elle, Otta l'avait cueillit de son coude à la
mâchoire inférieure. Elle avait perdu plusieurs dents et choquée,
sentit ses jambes flanchées tandis qu'une terrible douleur irradiait
ses naseaux là où Otta venait de la cogner une deuxième fois. Les
larges mains du guerrier se placèrent délicatement autour de sa
bouche et doucement, l'ouvrirent, de plus en plus. Elle savait qu'un
os finirait par céder. Elle hurla lorsqu'il cassa, mais ne put que
gargouiller de dépit car du sang noyait déjà sa gorge. Enfin, elle
s'évanouit avant d'avoir la nuque brisée.
Le
colosse s'écroula, mort.
Ses
congénères, prêt à démembrer le responsable, furent subitement
arrêtés par l'irruption explosive de nouveaux renforts. Une
escouade de warkals armés de petites bombes venaient de franchir le
portail. Le reste des naraxs décampa rapidement, mais bien peu
parvinrent à quitter le campement en vie. Les enfloradas avaient
rechargé et en avaient profité pour venger leurs camarades.
La
bataille finie, le bastion en ruine retomba dans le silence.
Des
applaudissements mesurés retentirent.
« Bravo
à tous, votre courage nous a sauvé, grâce à vous, le monde peut
dormir en paix.
_Ce
n'est pas l'heure d'être satirique, Maas, où étais tu passé ?
_Dans
ma tente, mon Seigneur, à faire des recherches.
_Elles
pouvaient attendre, pourquoi n'as tu pas soutenu les troupes ?
_Ces
créatures, les narax, ne sont pas de vulgaires bêtes sauvages. Une
intelligence coordonnait et organisait leur attaque...
_Une
espèce consciente vivrait ici ?
_Il
semblerait en effet. »
Katar
s'y était fait, bien que cela continu de le surprendre un peu. Otta
se moquait éperdument du contexte. Discuter au milieu des cadavres,
les vêtements maculés de fluides vitaux n'importait pas. Otta se
dirigea vers son conseiller. Une des dents du monstre craqua sous sa
sandale.
« Il
me faut plus que des hypothèses, sorcier !
_J'ai
réussi à repérer des traces, l'écho d'une ancienne magie. Je
pourrais sans doute guider nos forces vers elle.
_Non,
je procéderai différemment. Notre position ici est bien trop
précaire. Nous ne pouvons pas envoyer des troupes en avant sans une
base solide. L'armée restera ici pour réparer le camp et le
fortifier.
_Ils
risqueraient fort de revenir avant que nous ne soyons prêts.
_C'est
possible, voilà pourquoi j'ai décidé d'envoyer un petit groupe en
éclaireur pour identifier cet « écho » de magie, et le
faire taire.
_Sage
décision, Seigneur, et à qui pensez vous ?
_Je
ne pense pas, je décide :Talwar et ses hommes, Jack White, dont je
réquisitionne le vaisseau pour cette expédition, Katar, et ma
fille.
Jack
grimaça, inquiet pour son bateau.
_Votre
fille ? demanda Maas
_Ma
Fille, Lotus, ses talents ont besoin d'être mis à l'épreuve. »
Otta
avait parlé, discuter devenait inutile. Katar le regarda traversé
le portail en sens inverse. Il admirait son maître. Mais à cause de
ce tyran il vivait aujourd'hui en esclave. Son monde natal avait été
envahit et les Vanaras, autrefois libres, obéissaient maintenant aux
Desperados et ne pouvaient rien espérer de mieux qu'une vie de
servitude. Maintes fois, Katar avait rêvé qu'il plantait sa dague
dans le cou d'Otta, mais même en songe Otta survivait et triomphait
encore.
« Alors
le macaque, on dirait qu'on va passer un peu de temps tous les deux.
_Talwar,
tu as manqué la bataille, t'es au courant ?
_Et
sans moi chien, tu l'aurais perdu.
_Oh
merci grand guerrier, tes talents de messager nous ont sauvé la
vie. »
S'en
était trop pour Talwar. Il allait découper cet insolent et lui
arracher la langue. Heureusement Jack intervint.
« Calmez
vous messieurs, si nous devons travaillez ensemble, il serait
judicieux de faire montre d'un peu plus de retenue.
_Je
vais lui faire retenir sa respiration moi tu vas voir, jusqu'à ce
qu'il en crève, ce sale...
_...macaque,
on sait oui !
_Katar,
soit gentil et tais toi un peu, merci.
_Voilà,
obéit au capitaine, maca.., singe ! »
Jack
White soupira. Il devait les laisser pour avitailler son navire. La
fille d'Otta l'y attendait. Il espérait juste qu'elle serait un peu
moins difficile à gérer que ces deux têtes de mules.
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