Les Ailes du Chantilly


 LES AILES DU CHANTILLY


Lotus enrageait. Quand son père l'avait tiré de son école pour l'amener sur le bateau de Jack White, elle s'était imaginé prendre des vacances loin des entraînements éreintants imposés par sa formation.
Et puis elle arriva à bord du navire, une nef blanche déchirant les flots avec élégance. Lotus s'empressa de le visiter de la cale au pont. C'est en revenant de son exploration qu'elle vit Yari.
Yari, son instructeur et maître, un grand type musclé et aux cheveux châtains coupés court. Presque constamment torse nue, arborant avec fierté la constellation de sa famille et par dessus, le tatouage du feu, prouvant sa dévotion à sa formation d'élémentaliste.
Lotus le jugeait prétentieux, narcissique et arrogant.

A peine l'avait elle aperçu qu'il déclara :

« La récréation est finie jeune fille, c'est l'heure du duel ! »

Et sans autre forme de procès, il tourna sur lui même en écartant les bras. Des flammes fusèrent et se jetèrent ensuite sur elle. Surprise, Lotus roua sur le côté juste à temps. Enfin presque, car sa manche droite se mis à brûler. Elle s'empressa d'éteindre le début d'incendie. De nouveau, Yari passa à l'attaque.

Lotus essaya de se calmer. Elle créait des courants chauds pour dévier les brasiers que Yari ne cessait de lui lancer dessus. Elle aspira l'oxygène et le renvoya avec force pour initier un effet de retour de flamme. Yari para en projetant la fournaise vers le haut en une terrible colonne de feu. Le pilier devint tornade et Yari la dirigea vers sa jeune élève. Lotus essaya un instant de la disperser, mais les courants soufflaient trop forts et l'élan accumulé s'avérait impossible à dissiper.

L'enfer ardent allait l'emporter. N'ayant plus le choix, Lotus se jeta sur le côté pour l'éviter. Elle se prépara à contre attaquer lorsqu'elle sentit la température grimper sur sa gauche. Instantanément, elle se mit à avancer. La tornade la suivait. La situation se compliquait. Elle ne pouvait pas fuir indéfiniment, le pont s'avérant trop étroit. Impossible non plus d'inverser son mouvement ou même de l'étouffer car Yari veillait à ce qu'elle soit bien alimentée.

Lotus inspira puis se mit à courir. Le cyclone ambulant accéléra. Il se rapprocha et des larmes coulèrent des yeux de Lotus. Sa belle robe était trempée, sa queue de cheval à moitié défaite et son jolie nœud de ceinture se desserrait dangereusement. Cerise sur le gâteau, sa manche droite produisait maintenant un peu de fumée.

Le combat serait bientôt terminé. Il se montrait un peu dur en utilisant la tornade de feu contre sa pupille, mais depuis quelques jours il avait de plus en plus de mal à l'emporter. Il montrerai à cet équipage qu'il était le meilleur, que Lotus ne faisait que l'accompagner et que c'était lui le vrai spécialiste de ce voyage.
Cependant, Yari ne pouvait s'empêcher d'être déçu. Il s'était attendu à ce que Lotus lutte comme une damnée contre son cyclone infernal. Elle avait essayé un instant puis avait lamentablement pris la fuite.
Pitoyable.
Le combat serait bientôt terminé.

Lotus pivota brusquement vers son maître. Le brasier ardent sur ses talons, elle pointa sa main qui exhala un léger courant en direction de Yari. De l'autre, elle en forma un qui partit de la tornade et rejoignit le premier. Surpris, Yari eut la présence d'esprit de détourner le flot d'oxygène pour le faire passer à côté de lui tout en se concentrant sur la tornade. Épuisé, il réussit néanmoins à détourner le jet de feu et à le renvoyer vers son adversaire. Il allait lui couper la route et l'anéantir. Elle serait ridiculisée devant ces étrangers. La leçon, cuisante, lui apprendrait peut être l'humilité.
Alors que le piège se refermait sur elle, Lotus bondit. Elle jouait sa dernière carte et elle le savait. Elle raviva le foyer sur sa manche droite et projeta une salve embrasée sur son maître. La déflagration atterrie sur son torse tatoué, pile sur le symbole de feu. Il y eut un cri étouffé, de la fumée et l'odeur d'un cochon grillé. Enfin, la tornade s'évanouit. Lotus éteignit les foyers restants et s'avança vers Yari, étendu sur le dos. Elle lui tendit la main :
« Parfois, la meilleure défense, c'est l'attaque. »
Yari toussa et se releva péniblement.
« Ne me donne pas de leçon petite. Tu as dansé avec le feu une fois, mais ne laisse pas cette pitoyable victoire te monter à la tête. A combien en sommes nous ?
_De quoi parlez vous ?
_Combien de fois t'ai je vaincu ?
_Vous m'entraînez depuis mes 6 ans !
_Combien, Lotus ?
_512 fois.
_Et toi, tu en es à ?...
_ Une fois.
_Tâches de t'en souvenir.
_Très bien, maître. »
Jack inspira, expira, inspira encore... Mais la colère qui l'habitait ne déménageait pas. Au contraire, à chaque bouffée, elle s'installait, prenait ses aises et déposait ses bagages.
«On ne joue pas avec le feu sur un bateau ! » finit-il par hurler.
« Le feu, sur un navire, ou sur un bateau, même une barque, c'est l'ennemi numéro 1 ! Si la tempête nous frappe, on s'en moque, si la coque se fendille, se craque, Otta m'en préserve, si la coque se brise, c'est une brouille ! Mais, par la pleine lune, on ne joue pas avec le feu sur mon navire ! C'est bien compris ?
Le visage de Lotus s'empourpra.
« Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? Je ne vous entend pas ? 
_Holà, du calme mon vieux, répondit Yari, visiblement mal à l'aise.
_Non Yari, laissez, l'interrompit Lotus. Capitaine, veuillez acceptez nos excuses. Nous nous entraînions et la situation était entièrement sous contrôle. Votre navire n'a jamais été en danger.
_C'est moi qui décide si mon navire est en péril ou non ! Et juste pour que tout soit bien clair : le prochain que je surprend à même penser à une étincelle aura droit à un aller simple direct aux fers ! »
Le capitaine s'énervait. Katar enjamba lestement le bastingage, puis, d'un ton distrait, demanda :
« Et où est-ce que je mets ça moi ? » Il agitait un porte document en cuir de wouas.
« Dans la chambre à cartes, ensuite, reviens nous voir.
_Tout de suite. »
« Et n'en profite pas pour te faire la malle ! »
Talwar posa le pied sur le pont.
« Et où irais t il ?
_Je n'en sais rien, mais comme le dit l'a si bien dit votre père avant la bataille des chutes boréals : « Ne faites jamais confiance à un singe »
_Le contexte n'avait rien à voir.
_C'est un dicton, peu importe... râla Talwar pendant que ses hommes, une dizaine de soldats à l'apparence hétéroclite, arrivaient. Otta leur avait assigné la crème de la crème, les meilleurs combattants de son armée. Ils n'avaient jamais travaillé ensemble, mais leurs talents étaient sans égales. Aux ordres de Talwar, ils le suivaient pour l'instant sans dire un mot.
Katar revint rapidement et Jack entama la visite guidée du navire. La jeune Lotus buvait ses paroles et ne le quittait pas d'une semelle.
Le navire reposait sur le fleuve, aux abords de Dar Jiling. Une gabarre blanche à trois mats. Gravées sur les côtés se déployaient deux majestueuses ailes en argent, percées de part en part d'ouvertures d'où s'échappait une mince fumée blanche. L'équipage s'affairait avec agitation. Les marins réparaient les ouvrages, récuraient le sol en soulevant une odeur de bois mouillé ou passaient un coup de peinture sur les parties usées par le sel et la pluie. D'autres déplaçaient de lourds sacs de jute d'un bout à l'autre du bastingage, dirigé par le spécialiste de la charge utile. La jeune princesse furetait partout, s'extasiant sur de longs tuyaux d'acier, véritables artères qui déversaient l'énergie nécessaire au bon fonctionnement du vaisseau. Enfin, ils arrivèrent au seuil de la salle d'alimentation.
« Quel crime a commis votre Souffleur ? Est-ce un meurtrier, un violeur, ou peut être un déserteur ? »
Jack fronça les sourcils.
« Pour être honnête, je n'en sais rien. Simplement, je sais qu'il travail dur et purge sa peine avec honneur. En ce qui me concerne, c'est largement suffisant. »
Il ouvrit la porte.
De la fumée s'échappa alors qu'ils pénétraient dans le vestibule. Une chaleur étouffante les enveloppa et de la buée s'infiltrait entre leurs cils, formant des gouttes grasses qui peu à peu, coulaient entre leurs joues. Talwar toussa bruyamment. Puis le déclic d'un mécanisme et un crissement rauque, du métal frottant sur du métal, indiquèrent que Jack avait ouvert le sas. Les brumes de vapeur se dissipèrent, dévoilant le corps d'un homme maigre, chauve et vêtu d'un simple pagne. Lotus étouffa un cri lorsqu'elle aperçut les bras. Au lieu de chairs, de tissus, de muscles et d'os, le malheureux arborait deux prothèses artificielles. Une paire de rouages, d'écrous et de leviers mis bout à bout, une machinerie complexe, un chef d’œuvre de l'artisanat toréador. Ils tressaillaient, parfois agités de convulsions incontrôlées pendant que des pompes, de larges tuyaux appendus à ses épaules, drainaient l'énergie qui s'en échappait.
« Bonjour Souffleur, je t'apporte ton repas.
_Qui sont ces gens avec toi, Jack ? Demanda l'homme d'une voix fatiguée.
_Des invités, voici Talwar et ses soldats, ils nous prêteront main forte pour une mission dans un nouveau monde. Es-tu prêts ? Nous allons avoir besoin de toi très bientôt.
_Je n'ai que faire d'être prêt, referme le sas et fous le camp. Laissez moi, j'ai froid, si froid.
_Bon appétit dans ce cas, et à tout à l'heure.
_Que la pleine lune éclaire tes nuits !
_Et tes jours aussi. »
D'un geste, Jack invita ses hôtes à sortir. Le souffleur soupira. La douce moiteur allait l'emporter de nouveau, il baissa les paupières, ses bras sursautant selon un rythme inaudible tandis que le sas se refermait.
« Depuis combien de temps est il là ?
_Il faisait déjà partit des meubles lorsque j'ai pris possession de la Chantilly. J'imagine que ça fait un bail.
_Incroyable, il a l'air si jeune. Sûrement un effet de la vapeur, non ?
_Tout a fait Lotus. Il porte deux totems, chacun alimente une bordée, à bâbord et à tribord.
_Je comprends. Quels animaux sont emprisonnés dans les Totems ?
_Des Wakinyans, une espèce d'oiseau géant aujourd'hui disparue. Ce sont des totems très rares et très puissants.
_D'habitude, les bateaux n'ont pas besoin de tels moyens. Une seule créature suffit, la plupart du temps, un simple wouas, voir même un cheval.
_La Chantilly n'est pas un simple « bateau », c'est un navire, mon navire.
_Pourquoi payez si cher si vous n'utilisez pas toute la force ?
_Qu'est-ce qui te fait croire que je l'ai acheté ? »
Tout en devisant, le groupe était remonté sur le pont. Les marins s'étaient affairés à hisser les voiles qui portaient l'embarcation vers la rive.
« A présent, préparez vous, Maas va nous ouvrir un portail assez grand pour nous permettre de passer.
_Heu, vous êtes sûre de vous, parce que là, c'est la côte, c'est bien prudent ?
_Ayez confiance princesse.
_Je ne suis pas une experte, mais on file vers la terre ferme, je me trompe ?
_Pas du tout. 
_Mais comment ça pas du tout?! »
Soudain, le pont trembla. Lotus dut s'agripper au bastingage pour ne pas passer par dessus bord. Un peu d'écume frôla son visage. Elle baissa les yeux et scruta les eaux turquoises. De petits poissons nageaient près du navire, portés par son sillage. Ils devenaient de plus en plus petits, sans doute qu'elle les avait effrayés et qu'ils couraient se réfugier au fond de l'eau. Soudain, une ombre noire apparut au dessus du menu fretin rappelant à Lotus l'image du terrifiant Selatopus. Mais ils étaient à quai, la profondeur ne pouvait pas abriter un monstre aussi gigantesque. Une goutte d'eau s'échappa d'une de ses mèches et roula le long de l'étrave. Lotus la suivit du regard alors qu'elle quittait la bordée, virevoltant un instant avant de s'abîmer dans les flots bleus.
Virevoltant ?
Lotus recula vivement tandis que deux immenses jets de vapeurs se déployaient, brume blanche scintillante au soleil de cette matinée sinon sans nuages. Ils s'envolèrent.
« Voilà.
_Un bateau volant ! s'exclama Lotus, n'avaient ils pas disparu ?
_Non, pas entièrement. Ceci, très chère, est l'arme secrète de votre père. Elle est sous ma responsabilité et exception faite d'Otta, je suis le seul maître à bord.
Le message implicite n'échappa pas à la jeune fille. Cependant, elle n'en laissa rien paraître, préférant profiter du décollage.
Deux grands mâts télescopiques quittèrent les flancs de la Chantilly. Une longue voile se déroula de chacun d'eux, et portées par la vapeur, elles augmentèrent encore la portance du navire qui passa au dessus de Dar Jiling, soulevant derrière lui des éclats de surprise, des acclamations et deux ou trois hurlements de terreur. Ils traversèrent la ville à bonne allure puis survolèrent les plaines quelques instants avant de rejoindre le reste de l'armée d'Otta. Même à cette altitude, ils pouvaient apercevoir le portail qui tranchait l'espace d'un éclat insoutenable.
Maas psalmodiait en bas, son grand masque étouffait ses paroles mais en amplifiait la portée et la puissance. Peu à peu, le portail s'élargissait. Le navire piqua vers la savane. Les soldats les plus proches se baissèrent alors qu'il filait vers l'ouverture. Katar plaqua ses mains sur ses yeux. Ses clochettes tintinnabulaient tant qu'il enroula sa queue autour de sa taille pour faire taire son effroi. Après un temps qu'il eut jugé suffisant, il osa un regard.
Même ainsi surélevé, il pouvait encore renifler les effluves caractéristiques des marais. En bas, les ouvriers capuchonnés réparaient et fortifiaient le campement. Otta surplombait la scène, campé sur un trône réalisé à partir du cadavre du Narax géant. La tête reposé sur son poing, il surveillait les allés et venus de ses sujets et semblait plongé dans une profonde réflexion.
Katar chercha Jack du regard. Il devisait avec son second et, l'apercevant, lui fit signe d'approcher.
« Va chercher Talwar et Lotus et emmène les dans la chambre à cartes, on va commencer le briefing tout de suite, histoire de pas perdre de temps.
_Je suis d'accord, plus vite on y sera, plus vite on sera rentré.
_Exactement. »
Katar obtempéra. Quelques instants plus tard, ils attendaient tous les trois dans la salle de réunion improvisée. Un grand bureau jonché de cartes et d'outils dont Katar connaissait à peine le nom ou l'utilité ainsi que plusieurs chaises en bois de qualité. Un coffre et une armoire constituaient l'essentiel du mobilier. Sur un des murs, un râtelier abritait une remarquable collection de sabres : des fleurs de feus, des épées, des espadons, des flamberges et mêmes quelques lames de Vanara. Talwar ne détachait pas ses yeux de l'arsenal en exposition. Il ne disait rien, se contentant de renifler son approbation face à telle ou telle pièce. Lotus contemplait, fascinée, le chronographe damasquiné enchâssé près de la fenêtre.
Katar se perdait quand à lui en conjectures à propos du contenu du porte document qu'il avait déposé sur le bureau. Abritait t il leurs ordres de mission, ou une ébauche de géographie de ce monde inhospitalier ? Maas aurait pu arpenter cette zone par la pensée et en tracer les contours. Il n'avait après tout aucune idée de l'étendu des pouvoirs du sorcier.
Jack passa la porte.
« Prenez donc une chaise, asseyez vous, mettez vous à l'aise.
_Ces armes sont à toi ? demanda Talwar
_Maintenant oui, elles appartenaient à d'anciens collègues, Otta seul sait ce qu'ils sont devenus.
_Hum, des cadeaux ?
_Pas vraiment. »
Lotus attendit que l'éclaireur d'élite s'installe pour choisir un siège situé le plus loin possible de lui et le plus près de Jack. Katar resta debout car il paraissait encore plus petit une fois assis.
« Maas a réussi à réaliser un précis sur nos nouveaux ennemis, les Naraxs. Vous avez pu remarquer qu'il en existe plusieurs espèces. Il nous a donc détaillé leurs particularités, leurs points faibles et leurs noms. Ces informations sont confidentielles et temporaires. L'une de nos missions et d'approfondir nos connaissances sur ce monde et de compléter ce bestiaire. Lotus se chargera de compiler nos données et de les mettre à jour. Afin de te familiariser avec cet ouvrage, veux tu bien nous en faire la lecture ?
_Volontiers capitaine. »
Et de sa voix cristalline, elle entama sa récitation. Maas avait utilisé le vocabulaire du chant pour décrire les monstres tentaculaires. Les troupes de bases, les quadrupèdes aux fouets tranchants, avaient été nommé Tenor. Les fouisseurs creusant le sol à la langue collante : Baryton. Les volants devenaient les Altos et enfin, le Narax géant se voyait affublé du sobriquet de Soliste.
Les descriptions minutieuses incluaient des éléments de biologie mais également de tactique. Le rôle de chaque type lors de la bataille, le nombre d'espèces observées etc.
Katar écoutait avec attention, surtout lorsque furent évoqués les points faibles. Il partagea même son opinion sur les volants, que Maas jugeait surtout encombrants à défaut d'être dangereux.
« Notre grand sorcier s'est lourdement trompé. Je préfère encore affronter face à face un ténor que me faire surprendre par ces milles pattes volants.
_Je corrige, répondit Lotus, en inscrivant des caractères indéchiffrables sur le manuscrit. Voilà, et je crois que nous avons terminé.
_Parfait, à mon tour, déclara Jack. Vous avez entendu le chef de guerre comme moi. Nous devons découvrir le phénomène commandant aux Narax et y mettre un terme. Maas a émis l'hypothèse qu'il s'agit d'une espèce consciente, si tel est le cas, l'individu responsable devra certainement être éliminé. Si une approche discrète est possible, Katar s'en chargera, sinon, ce sera à Talwar et ses hommes de jouer.
_Avec plaisir, je précise
_Merci Talwar,
_Et si c'est une force naturel ? argua Katar
_On a assez de poudre et d'explosifs dans la Sainte Barbe pour faire sauter une petite montagne...j'imagine que ça suffira.
_Tout ça c'est bien jolie, mais comment va t on le trouver ?
_Grâce à vous Lotus, Maas m'a assuré qu'avec l'équipement adéquat, vous seriez capable de localiser avec précision les pulsations cognitives de domination résonnant à travers le prisme de la création, ou quelque chose dans le genre. »
Lotus esquissa une moue dubitative
« Et quel est cet équipement adéquat ? On ne scrute pas les courants de magie avec une longue vue !
_Il m'a assuré que ce monocle ferait l'affaire.
_Hum, et il me faudrait aussi un point de repère sinon, je ne pourrais pas savoir si ce que je perçois est à l'est ou à l'ouest, car les points cardinaux n'ont pas cours dans les arcanes.
_La dague de Katar devrait faire l'affaire, non ?
_Ma dague !
_Je vais voir.
Lotus ajusta le monocle, une lentille à monture de jade reliée à une chaînette en or. Son œil droit voyait le monde comme à l'accoutumé, et par dessus se superposait des filaments aux couleurs chatoyantes. Ils couraient autour de certains sabres de la collection de Jack, ou furetait le long des lames de Talwar. Enfin, elle tourna son regard vers Katar.
Des centaines de filaments, tous d'une nuance différente, s’emmêlaient autour de la dague. Ils tournoyaient autour des runes, se rassemblaient le long de certains symboles. L'ensemble irradiait une lumière blanche si éblouissante que Lotus dut détourner le regard. Oui, en vérité, le poignard brillait tel un phare au milieu d'une mer de puissance indéfinie. Elle concentra son attention sur l'écho décrit par Maas. Elle ne le percevait pas. Son autre œil la gênait, aussi, elle le ferma.
Les rubans s'étiraient dans toutes les directions, luisant dans un lac de ténèbres absolu. Elle se laissa mentalement sombrer, réduisant ses autres sens au silence pour pénétrer plus profondément l'insondable enchevêtrement. Elle cherchait une longue corde rouge parsemée de petits losanges dorés. Après de longs efforts, elle mis la main dessus. Aucun autre ruban ne s'en approchait. Elle le suivit un moment avant de tomber sur un gouffre, un puits de noirceur au milieu des ténèbres, comme une ombre lors d'une nuit sans lune. Elle inspira, vidant son esprit de toute distraction. Elle s'habitua progressivement à cette étrange obscurité et finit par distinguer un large pilier noir. Le filament rouge et or s'enroulait autour de cette colonne. Ce devait être la source de l'écho. Elle détourna son regard pour trouver la dague. Elle avait creusé profondément, peut être trop ? Heureusement, l'arme du Vanara brillait toujours de mille feux. Elle prit note de sa position par rapport à la spire, puis ouvrit les yeux.
Elle était allongé, son corps emmitouflé dans des draps de soies et sa tête reposait sur un oreiller moelleux. Aucun bruit ne troublait le calme de la nuit. Elle tâtonna à la recherche d'une allumette et s'aperçut qu'on l'avait amené dans sa cabine. Épuisée, elle se serait bien rallongé pour dormir, mais du travail l'attendait. Elle alluma d'autres chandelles, sortit de l'encre, du parchemin et un boulier de son sac pour calculer leur destination.
Ce n'est qu'après plusieurs heures qu'elle termina. Déjà, le soleil commençait à se lever. Alors elle s'écroula sur son lit et s'endormit, enfin.
Un son étrange venant de l'intérieur de sa couche la réveilla. Elle se leva prestement et regarda à l'intérieur du matelas. Rien, mais le bruit gargouilla de nouveau. Posant la main sur son ventre, elle le sentit qui s'agitait, de petits tremblements qui couinaient sous ses doigts un impérieux besoin de nourriture. Poussée par la faim elle ouvrit la porte de sa cabine et fut sur le pont en quelques pas. Appuyer sur le bastingage, elle eut le souffle coupé par le paysage.
Le navire voguait sur une mer de coton. Une grande étendue blanche et immobile surplombée d'un ciel vide. Se penchant en avant, elle comprit : Des nuages ! Le navire surfait sur les nuages ! Revigorée, elle courut pour trouver Jack et les autres mais ne vit que Yari qui s'entraînait. Il ne produisait pas de feu, conformément aux ordres du capitaine. Son maître l'aperçut, termina son enchaînement, salua et se dirigea vers elle.
« Alors, enfin réveillée ? Nous étions tous inquiets. Tout va bien ?
_Je crois oui, j'ai faim.
_Pas étonnant, après une semaine, je serait affamé moi !
_Comment ça, une semaine ?
_7 jours ou presque, une semaine quoi. Allez, vas vite te restaurer.
_Je dois parler à Jack, où est il ?
_Descendu avec le singe et l'éclaireur pour chercher de l'eau.
_Je sais par où nous devons aller, il faut que je leur en parle rapidement.
_Tu n'as qu'à attendre qu'ils remontent.
_J'aimerais mieux descendre maintenant.
_Mais tu n'as rien mangé ! »
Son estomac s'anima à nouveau et Lotus dut se rendre à l'évidence. A la hâte, elle rempli un petit sac de victuailles prélevées dans la cambuse puis ordonna à quelques marins de lui préparer une annexe et de la mener à Jack. Le second, un vétéran nommé Assagaï, dénoua un petit panier d'osier attaché au flanc du navire. Avec ses hommes, ils gonflèrent une grosse outre de cuir avec la vapeur qui portait la Chantilly. La petite embarcation pouvait accueillir 5 personnes. Le second devait rester à bord, mais un marin et le lieutenant navigation acceptèrent de l'escorter.
La jeune fille, toujours vêtu de ses habits de la semaine dernière, les cheveux en bataille et des traces de draps sur le visage, sauta lestement dans la navette. Suffisamment chargée de lest, la montgolfière descendit doucement vers la terre. L'air froid et sec céda la place à une humidité glacée alors qu'ils traversaient la couche de nuages. Puis le sol en dessous apparut progressivement. Une grande savane s'étalait à perte de vue. Des fougères, quelques buissons et, au loin, les marais. Vu d'en haut, ils ressemblaient plus à une jungle verdoyante qu'à l'enfer décrit par Maas et Katar.
Après s'être extasié devant le paysage, elle ouvrit son sac puis s'attacha à en engloutir l'intégralité. Un morceau de pain chaud, de la viande séchée, des fruits et une gourde d'eau furent ainsi dévorés avant que la moitié du chemin soit parcouru.
En bas, elle aperçut le petit groupe. Katar plongeait plusieurs tonneaux dans l'étang puis les posait dans une nacelle déjà bien garnie. Talwar montait la garde. Des sacs de sables servaient d'amarres et seraient laissés sur place, remplacés par le précieux chargement.
Lotus mis pied à terre et chercha Jack du regard, mais il restait introuvable. Talwar lui apprit qu'il répertoriait des plantes quelque part dans le coin. Lotus le remercia et s'en alla le trouver.
Après quelques minutes passées à arpenter le bord de la rivière, elle l'aperçu, penché près d'un corps inerte. Intriguée, elle s'approcha. Jack l'entendit et se tourna vers elle, un doigt posé sur sa bouche. A pas de loup, elle le rejoignit.
« Qu'est-ce que c'est ? Murmura t elle
_Plutôt qui est-ce ! On dirait une personne. Regarde ! Elle a des bras, des jambes et doit se tenir debout, comme nous. Et je crois qu'elle dort.
_Et cette corne là, ce n'est pas normal. Serait-ce une sous espèce de Vanara ?
_Il n'y a pas de singes dans ce monde, et elle n'a pas de queue... Non, ce doit être une espèce endémique.
_Endémique ? Comme pour les rochers ?
_Les... non, propre à ce milieu, à cet endroit.
_Aucun rapport avec les pierres du coup.
_Non, enfin, je crois.
_Elle est blessée, vous avez vu, à sa jambe.
_Oui, j'ai remarqué. Tu m'aides à la réveiller ?
_Vous êtes sûre capitaine, je veux dire, est-ce bien prudent ? En plus, nous ne savons pas quelles pourraient être ses réactions.
_Tu as raison, mais nous avons besoin d'informations sur cet endroit. D'ordinaire, je l'aurais laissé là, mais nous ne pouvons pas laisser filer une telle occasion.
_Entendu, je vais chercher de l'eau pour la réveiller. »
Le visage mouillé, la créature ouvrit les yeux. Sa corne vibra une fraction de seconde alors qu'elle se redressait.
« Qui êtes vous ?
_Je crois qu'elle essai de nous parler, tu comprends quelque chose ?
_Attendez un instant, j'ai peut être une solution.
_Laissez moi, cet endroit est dangereux, vous devez partir, vous mettre en sécurité, prenez garde au... !
_Ne t'inquiètes pas ma belle, on va s'occuper de toi. »
Lotus traça alors un quadrillage sur le sable de la berge. Elle posa son doigt au milieu et dessina un symbole qui traversait le damier de part et d'autres. Lorsqu'elle eut terminé, Jack contempla le résultat. Il n'avait jamais vu cet idéogramme, mais instinctivement, il le comprenait. Un mot très simple, d'une clarté absolue. Il résonnait dans l'air et pliait le langage, le convertissant à sa forme la plus basique.
« Qui êtes vous ? Demanda de nouveau la blessée.
_Des voyageurs venus d'ailleurs. Si vous le permettez, nous aimerions vous amener sur notre navire pour vous soigner.
_Un navire ? Qu'est-ce que c'est ça ? Mais vous ne pouvez pas rester, il faut partir.
_Justement, c'est notre moyen de transport.
_Un navire... Je serais curieuse de voir cela. Cependant, vous ne semblez pas conscient du péril qui vous menace.
_Que voulez vous dire ? Il n'y a rien ici.
_Si, ce bassin sert de lieu de repos au gardien de nos voisins.
_Vos voisins, je ne comprends pas.
_Mon peuple, les Kiumbes. Mais nous n'avons pas le temps, vous devez...


Un cri éclata soudain à proximité de l'annexe. Ils entendirent ensuite des bruits de lutte et un terrible rugissement. Lotus hissa la Kiumbe contre son épaule et ils partirent en hâte rejoindre leurs compagnons.
« Quel est votre nom, demanda Lotus avant d'être hors de portée de l'enchantement.
_Zakoa, je suis Zakoa. »
Quelques instants plus tôt, Talwar flânait nonchalamment au bord de l'eau. Il s'arrêta pour se contempler dans le miroir de l'onde pure. Les traits tirés et une mine épouvantable lui confirmèrent qu'il dormait mal. Les hamacs étaient inconfortables et l'équipage bruyant.
Toujours du mouvement, des réparations, des jeux de hasards, des discussions interminable sur les talents de tel ou tel Torrero, sur les prises spéciales des luchadores ou sur la qualité du rhum. Talwar aimait avoir la paix et un minimum de calme pour s'entraîner, et aussi d'être seul. Sur le pont, il était en permanence épié et il refusait de divulguer ses techniques secrètes à ces rustres barbares, en particulier au macaque.
Alors quand on lui avait proposé de faire un petit tour, il avait sauté sur l'occasion. Bien sûre, il fallait que le singe vienne aussi, c'était pas drôle sinon. Il s'était tenu à l'écart du groupe, profitant de cet instant de paix et de sérénité.
Il détourna son regard de l'étang et remua les épaules. Il entama un enchaînement, fendant l'air de ses sabres avec adresse, sans fioritures mais avec une précision extrême, une ligne épurée au tracé parfait. Lorsqu'il eut fini, il revint près de l'eau pour en boire une lampée. Ce fut là qu'il la vit : une ombre sur les flots immobiles. Mais aucun tronc, aucun buisson, juste cette tâche sous la surface. Il s'approcha, intrigué. Sûrement un effet d'optique ou un nuage mal placé. Il leva les yeux : le ciel était trop couvert pour que sa théorie fonctionne.
Tandis qu'il se retournait pour rejoindre ses camarades, une gueule garnie de crocs dégoulinant de bave s'ouvrit en grand, surgissant hors de l'eau à la vitesse de l'éclair et presque sans un bruit. Seule une goutte l'avertit du danger en percutant son épaule.
Talwar recula, pivota, les sabres levés devant lui. La bouche s'arrêta net, à un cheveu du fil de la lame. La créature planta ses pattes palmés dans le sol et déploya sa puissante queue, le percutant dans l'estomac et l'envoyant bouler dans la poussière. Le guerrier essaya de se relever, mais le choc lui avait coupé le souffle. Ses jambes tremblaient tant qu'il lui était impossible de les bouger. La bête le regarda d'un air mauvais, ses grosses narines se dilatant dans sa direction. Deux yeux d'un bleu étincelant le guettait avec insistance, à l’affût du bon moment, pour frapper. Une longue protubérance osseuse au bout de son museau s'arquait vers le haut et deux défenses d'ivoire s'enroulaient sur elles mêmes à l'arrière de la mâchoire. Talwar dévisageait le prédateur, captivé par le reflets des écailles qui couvrait ce terrible visage.

Tout à coup, un cri retentit alors qu'un marin découvrait la scène. L'animal bascula son long museau vers l'importun. Paralysé de terreur, l'homme refusait de bouger. La suite sembla pour Talwar se dérouler au ralenti. Un rugissement terrifiant, un galop bondissant vers le marin qui fermait les yeux, du liquide chaud dégoulinant sur son pantalon. Mais la mort ne vint pas. A la place, il aperçut Katar qui sautait sur le monstre et, cramponné à une écaille, essayait de lui transpercer le crâne.
Le gardien de l'étang rua, déséquilibrant Katar qui atterrit à quelques pas, accroupi et prêt à en découdre. Profitant de ce répit, le marin décampa le plus loin possible de ce spectacle cauchemardesque.
Sans perdre une seconde, la créature chargea, animée d'une démarche souple, féline, la portant de droite à gauche avec une vivacité surnaturelle. Katar peinait à suivre ses mouvements et ne savait plus de quel côté parer si bien que le coup de griffe le prit au dépourvu, lacérant sa fourrure puis le projetant dans la source pendant que la souffrance lui vrillait le cerveau.
Le carnivore s'apprêtait à le rejoindre pour profiter de son repas lorsque soudain, soulevant une gerbe d'écume, Katar fusa hors de l'eau brandissant sa lame avec fureur, prêt à écharper son ennemi. Il apprendrait dans la douleur qu'on ne provoque pas impunément un Vanara.
Katar tournoya dans les airs. Un éclair, et la dague plongea sur sa victime.
Cette dernière détendit ses muscles noueux et asséna un terrible coup de tête au singe. La violence du choc lui brisa une côte, peut être deux. Sa tête bascula en arrière et s'enfonça dans les flots.
Sonné, il cligna des yeux, essayant de distinguer quelque chose à travers le remugle troublé. Une forme noire ondulait vers lui, immense et très rapide. Juste à temps, il discerna la gueule qui se dépliait.
Katar serrait toujours sa dague. Il se prépara à frapper mais alors qu'il entamait son mouvement, il s'aperçut qu'il n'atteindrait pas sa cible à temps. Plus qu'une seule option, juste quand la mâchoire allait se refermer, il en saisit les extrémités. La pression était énorme, presque insurmontable. Fou de rage, le monstre jaillit hors de l'eau. Katar, projeté dans les airs, réussit à maintenir sa prise. Obéissant à des millénaires d'instincts de chasse, la créature écrasa sa proie contre la surface.
Des myriades de bulles s'éparpillèrent et un instant, Katar crut qu'elles dansaient autour de lui. Il se ressaisit et serra ses doigts autour des gencives.
Mais le manège infernal reprit. Un nouveau tour et l'impact violent lui coupait la respiration. Désorienté, Katar commençait à flancher. Les terribles crocs se rapprochèrent dangereusement et l'un d'eux mordit profondément dans sa joue. Terrorisé, Katar crut sa dernière heure arrivée. Il tenait bon, poussé par une farouche volonté de survivre, un comportement primaire profondément ancré en lui. Son bourreau, guère impressionné par tant de vaillance, recommença. A l'apogée de sa trajectoire, Katar lâcha les mâchoires et poussa sur ses bras pour s'éloigner des dents qui s'entrechoquaient en émettant un claquement sinistre. Comme il aurait aimé rester là, suspendu au dessus de l'eau pendant que le monstre retombait.
Mais de nouveau immergé, il vit la bête battre furieusement la boue et le limon, et au milieu de ce torrent de rage brute, Katar eut juste le temps de voir un carreau fiché dans la tempe de son ennemi, avant que l'appendice caudale ne le fouette violemment. Il perdit connaissance et s'enfonça dans les abîmes.

Un mal de crâne carabiné le réveilla. Tout était flou, comme vu au travers d'une vitre embué. Il plissa les paupières, essayant de comprendre où il se trouvait. Les brumes se dissipèrent peu à peu.

Katar se redressa. Il était emmitouflé dans une couverture, une lingette d'eau chaude posée sur la tête. La pièce était remplie de cartes et de parchemins remplis de calculs et de notes en tout genre. Un compas traînait même sur la banquette et il le piqua à la queue alors qu'il se levait.

« Aïe !
_Désolé, je pensais que tu serais inconscient plus longtemps alors j'ai fait déplacer mes affaires pour pouvoir travailler dans ma chambre. Mais tu es resté évanouie une seule journée, alors faudra que tu m'aides à tout ranger !
_Pas de problème, je vais mieux à présent. Par contre, j'aurais besoin de nouveaux vêtements. »

En effet, sa veste en lambeau lui avait été retiré. Son torse ne portait aucune marque malgré la gravité de ses blessures. Par contre, trois clochettes gisaient, perdues au fond du point d'eau.
Après avoir enfilé un boléro et englouti une salade de fruits, Katar sortit sur le pont. Talwar l'aperçut le premier.
« Alors macaque, t'es remis ?
_Comme neuf Talwar, tu t'es pas trop inquiété j'espère ?
_Va te faire foutre Katar ! »
Lotus arriva à son tour, accompagné de Zakoa. Elles essayaient de discuter mais avaient visiblement du mal à se faire comprendre.
« Tu tombes bien Katar, puis-je voir ta dague une seconde ?
Surpris par la question, Katar posa la main sur son arme.

« Écoutez princesse, sans vouloir vous manquez de respect, pourquoi ?
_Un instant, tu verras, fais moi confiance »

Confiance... Les Vanaras avaient perdus leur monde par excès de confiance, en eux même comme en leurs adversaires. Katar se méfiait de la confiance à présent. Cependant, le ton de la jeune fille, sa candeur, l'aidèrent à se décider. Et puis, il n'avait pas non plus vraiment le choix...

Il céda son bien à l'élémentaliste.

« Merci, tu ne le regretteras pas. » le remercia t'elle.

Lotus posa la lame sur le sol et détacha l'aiguille lui maintenant les cheveux attachés. Une flamme bleu s'alluma au bout de son index et commença à en chauffer la pointe. Après quelques instants, Lotus l'éteignit et, avec le bout brûlant, traça un signe sur la garde en ivoire.
Elle le plaça au centre du nexus d'énergie, afin de stabiliser les autres enchantements et de les rendre plus simples et moins lourd dans leur structure. De plus, ce symbole, le même qu'elle avait dessiné la veille sur le sable, permettrait à tous les êtres doués de raison de se comprendre dans un rayon de plusieurs centaines de mètres. La portée exacte dépendait de la puissance de l'objet. Étant donné ce qu'elle avait vu grâce au monocle de Maas, cela devait englober une zone assez vaste.

Une nouvelle réunion fut organisée dans la salle des cartes. Zakoa se présenta à l'ensemble du personnel naviguant ainsi qu'aux autres invités. Elle leur parla ensuite du monstre qui les avait attaqué :

« Cette créature est appelé Shan dans notre langue. C'est un animal sacré pour mon peuple, comme la Nasygwa par exemple.
_La Nasygwa, le Shan, ce sont des espèces à part entière ? S'enquit Lotus.
_Non, ce sont des êtres uniques et très puissants. Ils ne vieillissent pas et sont très résistants. Aucune maladie ne peut les atteindre. Les cornes noires, nos guides spirituels, obtiennent leurs pouvoirs en les rencontrant. Il y a autant de tribu Kiumbes qu'il y a de ces animaux. Nul ne sait combien couvrent les terres, sans doute plus d'une centaine. Dans nos plaines, il y en a douze. Celui là, c'était Shan, le Rôdeur.
_Et ce Rôdeur est lié à ton clan ?
_Non, Shan est lié aux Gaos, une autre ethnie courant loin de la nôtre. »

Elle leur expliqua alors que les Kiumbes était un peuple nomade. Que chaque tribu se déplaçait sans cesse suivant un rythme précis basé sur le cycle des vents. Zakoa leur raconta également sa quête de vengeance qui l'avait amené à se séparé des siens et son combat contre Nasygwa, devenue folle pour des raisons inconnus.

« Donc si j'ai bien compris, récapitula Katar, Nasygwa était une créature semblable au Rôdeur.
_Oui, Nasygwa, la Bête. Cependant, elle est pacifique d'habitude, et herbivore de surcroît, comme nous. Le Rôdeur ne s'en prend normalement qu'aux animaux. Peut être vous a t il pris pour des proies, car il n'a jamais vu de coureurs comme vous.
_Vous avez affrontez la Bête dans les marais, c'est bien cela ? demanda Jack.
_Oui
_Alors que faisiez vous près de l'étang, à une semaine de marche des jungles ?
_Je cherchais à rejoindre les miens, mais j'ai été attaqué par d'étranges créatures.
_Des naraxs j'imagine, supposa Katar
_Je ne sais pas, mais ils avaient d'étranges tentacules lumineux, comme Nasygwa.
_Vous voulez dire que vous n'aviez jamais rencontré ces monstres auparavant ! S'exclama Lotus
_Jamais, en vous voyant, j'ai cru qu'ils étaient venu avec vous, comme des animaux de compagnie par exemple
_Non, on ne sait pas d'où ils sortent. Et votre tribu, vous ne l'avez pas retrouvé ?
_Non, j'ai été blessé à la jambe et ne peux plus courir. Il m'est donc impossible de les rattraper.
_On peut peut être vous aidez, non ? Capitaine ? »

Jack ne répondit pas et fit signe à Lotus de se rapprocher. A voix basse il lui murmura :
« Je ne pense pas, notre mission prime sur le reste, je peux voler en dessous des nuages au cas où, mais nous ferons voile vers les coordonnées que tu nous as indiqués. De plus, j'imagine que votre père voudra s'entretenir avec notre... invité
_Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que les deux problèmes sont liées. Sa description de la Nasygwa me paraît correspondre avec la carcasse où le portail s'est ouvert. Ça ne peux pas être une coïncidence !
_J'y ai pensé. Patience, les réponses viendront en temps voulu. »

La discussion se termina ensuite rapidement. Zakoa se montra très réservé par la suite, malgré Lotus qui la pressait de question sur les habitudes de son peuple.

Ainsi, la Chantilly reprit son vol. La nourriture stockée suffirait à nourrir tout le monde pendant encore un moment, mais l'eau devait être constamment renouvelé. Soit par des arrêts près de points d'eau, soit grâce aux nuages. Lorsque l'on voulait voyager vite, il valait mieux stocker de larges réserves qui serviraient à refroidir la chambre des totems. Assécher les nuages prenaient du temps et n'offraient pas autant de liquide, c'était une solution pour les longs voyages d'exploration, ou en dernier recours, mais en règle général, on leur préférait les lac, les rivières ou les océans. Grâce à ce qu'ils avaient récupérés lors de cette escale, ils pouvaient espérer tenir une bonne semaine.

Avant même que ce délai ne soit écoulé, la vigie signala un épais nuage de poussière à l'horizon. Jack déplia sa longue vue. Droit devant, un troupeau entier de Kiumbes galopait sur les plaines.

Il en dénombra presque une centaine et distinguait deux groupes. Le premier se composait d'individus grands et élancés, déroulant de longues foulées de manière régulière. Ils entouraient le second groupe, placé au centre du cortège. La différence frappa le capitaine de stupeur car ceux du milieu ne ressemblaient en rien à Zakoa. Ils couraient à quatre patte et surtout, arboraient une longue queue qui se balançait derrière eux.

Zakoa s'approcha :

« Ce sont nos enfants. Ils portent les biens de la tribu : les tentes, la nourriture, les armes, l'eau et les objets personnels de tous. Cela permet de les endurcir, ainsi, lorsqu'ils seront plus grand, ils seront plus rapides.
_Tout s'explique alors, répondit Jack. Et sinon, vous faites combien de kilomètres par jour habituellement ?
_Kilomètre, je ne sais pas ce que c'est. Nous mesurons les distances en jour de course. Et par jour, nous faisons une journée environ, notre tribu se targue d'en faire deux lorsqu'elle est en forme. Les Emelas font parties des peuples les plus rapides de Yumi.
_Yumi ?
_Oui, les plaines et les marais, tout cela fait partie d'un ensemble, Yumi.
_Votre monde j'imagine, s'appelle donc ainsi.
_Oui, et vous venez de Monde, c'est cela ?
_Pas exactement, moi et mes camarades venons de la Terre. Katar viens d'un autre endroit qu'il nomme Vanara.
_Alors, ce n'est pas votre fils.
_Toujours pas, je le crains ! »

Lotus accouru pour les rejoindre. Elle portait une veste et un pantalon mauve serré par une écharpe rose nouée en forme de fleur. Deux manchettes, violette également, allant du poignet au coude et maintenues par un bracelet en argent ajoutaient une note de fraîcheur à sa tenue.

« C'est là capitaine, j'ai remis le monocle et ça doit être ici. L'écho résonne dans la direction du troupeau.
_C'est ce que je me disais. On aurait pu les voir par les flancs de la Chantilly, ou même à la poupe. Droit devant, et aussi tôt, ce ne pouvait être le fruit du hasard.
_Alors, quel est le plan ? On descend et on va leur demander ?
_Je ne pense pas. Nous allons remonter au dessus des nuages et attendre. A la nuit tombée, nous prendrons la nacelle. Un petit groupe apparaîtra moins menaçant et nous permettra de gagner leur confiance plus rapidement. Qu'en pensez vous, Zakoa ?
_C'est plus sage ainsi, cela fait longtemps que j'ai quitté les miens, je ne peux prévoir leurs réactions.
_Alors c'est décidé. »

La vapeur souffla de plus belle, l'équipage changea l'angle des voiles latérales et ramena les autres. Le navire monta. Il continuait de voguer sur les nimbes à une petite allure afin de suivre le troupeau en mouvement. Peu à peu, les nuages rosirent, se teintant de rouge au fur et à mesure que les étoiles couvraient le ciel. De grandes formes apparurent également, à peine visible à la lueur du crépuscule. Quelques instant plus tard, ils comprirent. Une ceinture d'astéroïde enserrait l'espace nocturne. Aucune lune, seulement cet amas de roches géantes immobiles, ou presque, au milieu du paysage.

Le ballon de la montgolfière gonflé, un petit groupe pris place et commença à descendre aux abords du campement. A bord, cinq personnes : Lotus, Zakoa, Jack, Katar et, au cas où les choses tourneraient mal, Talwar, qui serait ravi de se dégourdir les bras.








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